Tout avait commencé un premier jour d’été. Busan était plongée dans un océan de chaleur. Le ciel était de couleur azur. Les rayons de soleil tapaient si fort que des branches d’arbre auraient brûlé, mais c’était plutôt les habitants de Busan qui pouvaient finir carbonisés.
Nayeon, une Coréenne née avec des cheveux ébènes, venait de terminer sa dernière journée de cours. Elle était plus qu’heureuse de ne pas retourner dans ce lieu infâme, ses camarades de classe se moquaient souvent de sa couleur de peau car celle-ci était foncée. Avoir une peau foncée en Corée signifiait être pauvre et impur. L’adolescente était victime de plein de moqueries alors qu’elle n’avait pas choisi d’avoir une peau aussi bronzée.
Aussi, la jeune fille ne voulait plus aller en cours car elle n’en pouvait plus de ses professeurs et surtout, en fin d’année, la salle de classe sentait fort la transpiration. Son uniforme lui collait à la peau et ses mains étaient tellement moites qu’elle n’arrivait même pas à tenir son stylo sans qu’il glisse entre ses doigts.
L’adolescente en avait marre et son corps tout entier bouillonnait. Si elle ne se rafraîchit pas rapidement, elle déclenchera un incendie dans sa ville.
Mais, sur le chemin pour rentrer chez elle, son regard charbonneux se posa sur la rue d’en face, précisément sur une façade rose bonbon avec écrit «Glaces et Sorbets». Il était rare de trouver un marchand de glaces dans Busan avec une façade aussi pétante. Elle n’avait jamais vu ce glacier dans sa ville, et elle avait besoin d’une glace ! Elle se dirigea vers le marchand et ouvrit la porte. Une clochette bleutée accrochée sur la porte émit un son.
Jamais Nayeon n’avait vu un endroit aussi coloré. Ses yeux scrutèrent chaque coin de la pièce. Les murs étaient semblables à la façade, le sol était en damier, chaque carré était soit rose saumon, soit bleu dragée, ou jaune sable ou encore turquoise, comme les couleurs d’un chamallow.
Mais ce qui attirait le plus la jeune fille aux cheveux noirs, c’était tous les parfums de glaces qui se trouvaient dans le magasin. Il y en avait pour tous les goûts. Les glaces étaient présentées dans des récipients en acier. Elles se distinguaient par leurs couleurs, se coloraient et se décoloraient suivant leurs parfums.
Soudain, la porte de l’arrière-boutique s’ouvrit. Un jeune homme aux cheveux carotte légèrement en bataille, avec quelques mèches couleur cerise venait d’entrer. Il portait une chemise blanche avec les manches retroussées, un jean noir, des baskets multicolores aux lacets défaits et un tablier de couleur menthe. Une casquette moutarde coiffait ses cheveux roux et sa peau était blanche comme de la craie. Il devait être l’employé du magasin car il maintenait entre ses bras deux énormes cartons et n’avait pas remarqué la présence de Nayeon à cause d’une des boîtes qui lui cachait la vue. Mais son pied glissa sur un de ses lacets et il tomba. Des petites billes en mousse s’échouèrent partout sur le sol et l’employé se prit tout le contenu en pleine face.
La noiraude, qui avait vu toute la scène, se précipita vers le garçon aux mèches colorées pour s’assurer qu’il ne soit pas blessé.
– Vous allez bien ? demanda Nayeon affolée. L’hôpital n’est pas si...
– Pas de soucis, lui dit le jeune homme en lui souriant. Et tu peux me tutoyer, je pense qu’on a le même âge.
– J’ai dix-sept ans, et toi ?
– Dix-huit !
Il se baissa et récupéra sa casquette pour ensuite détacher les billes qui s’étaient accrochés sur celle-ci et la mettre sur sa touffe de cheveux.
– Ah oui, tu veux une glace ?
– Oh oui, je meurs de chaud !
Mais au moment ou Nayeon se souvint de tous les parfums qu’il y avait, elle sentit qu’elle allait passer plus de temps à choisir sa glace qu’à la manger.
– Mais c’est impossible d’en choisir une... Je fais comment ?
– Je vais t’en choisir une, attends deux petites secondes.
Le glacier partit vers le stand de glaces et prit une cuillère exprès pour faire des boules. Il ouvrit la glacière qui gardait les crèmes glacées au frais et y plongea sa cuillère. Celle-ci avait maintenant une boule blanchâtre et jaune pastel avec des paillettes dorées. L’employé aux cheveux carotte posa la crème glacée dans un cornet et le tendit à Nayeon. Lorsqu’elle sortit son porte-monnaie pour payer, il s’exclama:
– Tu n’as pas besoin de payer, c’est cadeau.
– M-merci mais...
– Je t’ai dit de ne pas t’inquiéter.
La jeune fille rougissante le remercia en lui souriant et demanda:
– Elle est à quoi, la glace ?
– C’est aux myrtilles et au yuzu, un agrume japonais. Goûte avant que ça fonde !
Nayeon n’hésita pas une seconde et passa sa langue dessus. Le mélange entre les deux fruits se combinait parfaitement, les myrtilles masquaient l’acidité du yuzu pour que celui-ci ne soit pas trop désagréable. Jamais l’adolescente n’avait goûté une glace aussi bonne.
– C’est délicieux ! Tu as une recette secrète, c’est ça ?
– Un secret reste un secret, dit le jeune homme, en faisant un clin d’œil.
Pendant que Nayeon dévorait sa glace, l’employé avait prit un balai avec sa ramassoire et ramassait toutes les billes qui traînaient encore par terre.
Mais la lycéenne avait remarqué quelque chose, elle ne savait toujours pas le prénom de celui qui lui avait offert la glace.
– Hé ! Je sais même pas comment tu t’appelles, fit le rouquin en arrêtant de balayer le sol.
Il lit dans mes pensées ou quoi ?
– Je m’appelle Im Nayeon et toi ?
– Moi, c’est Lee Felix !
Ça faisait maintenant plusieurs semaines que Felix et Nayeon se connaissaient. La jeune fille venait souvent chez le glacier (pas toujours pour prendre des glaces, sinon elle n’arriverait même plus à passer la porte) et passait ses après-midi avec lui. Nayeon avait enfin trouvé un ami qui l’acceptait comme elle était. Ils s’amusaient bien ensemble et les deux étaient vraiment devenus proches.
Un soir de pluie, la porte du glacier s’était brusquement ouverte, alors que le magasin était censé fermer puisqu’il était tard. C’était l’adolescente qui venait d’entrer, mais elle n’avait pas l’air bien. Ses paupières débordaient de larmes et son visage était meurtri par la tristesse. Elle cherchait Felix, elle avait besoin de lui. Quand ses yeux de charbon le trouvèrent, Nayeon courut et l’enlaça. Le roux, ne comprenant pas ce qui se passait, la réconforta en la serrant plus fort dans ses bras.
– Chutt... murmura Felix en lui caressant les cheveux. Je suis là, tu n’as pas à pleurer.
Les petites mains de Nayeon agrippèrent sa chemise et sa tête s’était enfouie près de son torse, son corps contre le sien. Le rouquin continuait de lui chuchoter des mots doux. Ils restèrent plusieurs minutes dans cette position, ils pouvaient rester comme ça pendant des heures.
– Ça va mieux maintenant ? demanda Felix, sentant qu’elle avait arrêté de sangloter.
– Ou-oui... Je pourrais avoir un verre d’eau ?
– Bien sûr.
Le glacier s’éclipsa vers l’arrière-boutique tandis que la jeune fille s’était assise sur un siège. Il revint avec un verre rempli à ras bord et le donna à Nayeon.
– Raconte-moi tout ce qui s’est passé, je n’aime pas te voir triste, fit Felix en s’asseyant à côté d’elle.
– Alors, commença la jeune fille, tout s’est passé dans la rue. Je marchais tranquillement puis j’ai vu un garçon qui se trouvait dans la même classe que moi, il y a quelques années. Il m’a dit que même en grandissant, je ne ressemblais à rien... et...
Des larmes s’étaient remises à couler le long de ses joues.
– J’en ai marre. Pourquoi y a personne d’autre à part moi qui a une peau aussi foncée ? Pourquoi personne ne comprend que ce n’est pas moi qui ai décidé d’être comme ça ? Pour...
Elle s’arrêta de parler car Felix venait de poser sa main sur la sienne et la serra pour lui montrer qu’elle avait tort.
– Tu n’as pas besoin de changer, crois-moi.
– Pourtant...
Un doigt se posa sur ses fines lèvres, l’obligeant à se taire.
– Tu es magnifique, Nayeon.
La jeune fille soupira, limite exaspérée, ne croyant aucun mot de ce qu’il disait. Elle retira le doigt qui était collé contre sa bouche.
– Non, j’aimerais que tout cela s’arrête, fit-elle sèchement. Tu ne peux pas me comprendre, Felix.
À cause de cette réaction, ils ne pouvaient plus se regarder dans les yeux, Nayeon fuyait le regard triste qu’exprimait le roux. Leurs mains ne se touchaient maintenant qu'à peine. La noiraude pleurait silencieusement tandis que lui restait de marbre.
– Je dois fermer le magasin, trancha Felix avec froideur. Mais avant de te laisser partir, je voudrais que tu goûtes ça en route.
Le glacier disparut de la pièce, et quand il rejoignit l’adolescente, un gros pot transparent en verre qui avait l’air fragile et lourd se trouvait dans ses bras, Une étiquette avec écrit dessus Blanche-Neige en calligraphie était collée sur le verre. Il prit une cuillère et posa le bocal sur une table. Il ouvrit le bocal et des milliers d’étincelles jaillirent de celui-ci. Le pot contenait une glace semblable à de la neige et des éclats rosés s’étaient éparpillés dessus. Felix qui détenait la cuillère la noya dans la crème glacée puis il en déposa dans un cornet.
Il tendit le cornet à Nayeon, et la raccompagna vers la sortie. L’ambiance était tendue et personne n’osait parler. Pour finir, les deux amis se dirent un bref salut et la jeune fille rentra chez elle.
Une nouvelle journée venait de commencer. Les étoiles n’avaient pas brillé cette nuit. Il pleuvait toujours abondamment et le temps se faisait frisquet. Nayeon n’avait pas vraiment fermé l’œil de la nuit. Mais elle avait quand même fini par s’endormir.
Comme chaque matin, la jeune fille prenait une douche. Après s'être déshabillée, elle se regarda dans la glace d’un air las jusqu’à ce qu’elle découvre que son corps n’était pas comme d’habitude. Son corps s’écroula contre le sol de la salle de bain. Sa peau était recouverte de blanc, ses lèvres avaient une teinte écarlate et ses cheveux n’avaient jamais eu autant de noirceur.
– Co-comment ça se fait, balbutia Nayeon en tâtant son visage de haut en bas. C’est p-pas p-possible...
Tout à coup, elle se souvint de la veille, de la crème glacée que Felix lui avait offerte. La glace se nommait Blanche-Neige. L’héroïne du conte a aussi une peau en porcelaine, une chevelure sombre et une bouche rouge comme la couleur des rubis. La noiraude était persuadée que c’était le rouquin derrière tout ça. Il n’y avait que lui qui l’aimait et qui ferait n’importe quoi pour elle.
L’adolescente n’attendit pas un instant et se prépara vite pour remercier celui qui venait de réaliser son rêve. Elle voulait absolument se faire pardonner pour le comportement qu’elle avait eu le soir passé. Quand elle arriva devant la façade du magasin, son cœur se fracassa en mille morceaux, ses membres tremblèrent à cause du froid mais aussi à cause du choc qui les engourdit.
La façade n’avait plus cette teinte rosée, elle était remplacée par un mur gris, sans vie. Cette porte qu'elle était toujours heureuse d’ouvrir avait aussi disparu. Nayeon ne tenait plus sur ses deux pieds, elle s’effondra par terre, les yeux débordant de larmes. Il était impossible qu’elle arrête de pleurer et de hurler. Elle cria le prénom du glacier jusqu’à en détruire ses poumons. L’adolescente avait perdu la personne qui la chérissait par-dessus tout, qui avait passé les meilleurs moments avec elle, et surtout qui lui faisait oublier tous ses problèmes. Nayeon venait de perdre son seul meilleur ami, son chagrin ne pourrait jamais guérir.
Richard Neumann avait toujours été mal à l'aise par rapport aux couleurs. Cela était dû à un traumatisme de l'enfance. Cela arriva le jour de ses 6 ans, quand il était en train de les fêter avec ses parents. Au moment de souffler ses bougies, un bruit assourdissant retentit, l'électricité fut coupée, et par conséquent, les guirlandes multicolores s'éteignirent. Un instant d'incompréhension s'installa, mais ce fut de courte durée car une violente détonation retentit. Cela eut pour effet de pulvériser les ampoules et d'éteindre toutes les bougies. Cet événement laissant place à la peur, Richard et sa famille furent tétanisés. Au moment de reprendre leurs esprits, un troisième bruit retentit. Cela venait de la porte d'entrée. Le père de famille sortit doucement, très gentiment du salon pour aller voir à la porte. Un homme assez grand, d’environ 1.80 m, se tenait devant la porte défoncée de l'appartement. Il était vêtu d'un costume moulant qui recouvrait son corps des pieds à la tête. Ce costume en une seule pièce représentait un dégradé des 16'581'375 nuances de couleurs connues dans le domaine de l'informatique.
Il tenait un pistolet qui pointait déjà en direction du père Neumann, figé de terreur. La mère accourut alors vers son mari. Au moment où elle apparut dans le champ de vision du tueur, celui-ci les abattit tous les deux sans pitié avant de repartir, laissant Richard qui s'était caché dans une armoire…
◌◊◌
Quinze ans plus tard…
C'est l'affolement dans le Louvre, le tableau emblématique du musée a perdu toute ses couleurs. La Joconde n'est plus ! La Joconde du Louvre étant une copie de l'original, celui-ci étant bien protégé sous haute surveillance, les gardiens du musée eurent un long moment de perplexité plus que de peur. Mais lorsqu'ils prirent conscience l'ampleur du problème, ils fermèrent le musée aussitôt, lançant une enquête de grande envergure. Peu de temps après, le directeur reçut un coup de fil, disant que la vraie Joconde était également démunie de toutes ses couleurs. Là, le choc fut violent pour le personnel du célèbre musée !
◌◊◌
Richard était très fier de son acte. Ce fut sa première mission sérieuse. La Joconde n’avait pas été facile à trouver, puis il fallut y avoir accès pour la manipuler. Mais la suite allait être pire… Il s'allongea sur son lit, se remémorant les événements de la nuit dernière. Il savait qu'il allait être traqué, puis trouvé par la police. Une confrontation avec les forces de l'ordre était inévitable. Il devait trouver un moyen de se sortir de ce genre de situation. Puis une idée, pas moins ingénieuse que son invention favorite, l'aspirateur à couleurs, surgit dans son esprit déjà bien chargé de ses grandes ambitions. Il suffirait d'utiliser les couleurs capturées dans son aspirateur, les faire chauffer à des millions de degrés pour les transformer en plasma, puis les utiliser comme arme. Elles pourraient être projetées grâce à un champ magnétique super puissant dans un pistolet conçu à cet effet ! Mais le moment était venu de se reposer et de rêver. Ainsi il fut plongé dans ses pensées, en repensant à ses actes et à ses projets. Ce savant fou avait la capacité de détruire le monde s'il le voulait ! Son repaire, complètement incolore, était rempli d’inventions en tous genres. En commençant par le « plastificateur », sorte de « ioniseur » mais en plus performant, en passant par le « Sabre Laser » ( oui, le même que dans la saga « Star Wars ») et l’ « épée magmatique », une épée enduite d'un liquide extrêmement inflammable, et le « Gant d’inspecteur gadget », un gant multifonctions muni d'un électro-aimant superpuissant, d'un lance-flamme, d'un canon à ions, de ventouses , et pour finir, de deux pointes en saphir et en diamant, utilisables pour couper des vitres et des têtes ! Toutes ces inventions relèvent de la science-fiction, pas vrai ? Et pourtant, il les avait bel et bien inventées. Mais alors, avec toutes ces armes, pourquoi lui fallait-il un nouveau moyen de combattre les forces de l'ordre ? Car en réalité, ils l'avaient déjà repéré depuis bien longtemps. Ils le traquaient, et connaissaient déjà une bonne partie de ses inventions meurtrières. Ils se protégeaient notamment du plasma et du canon à ions grâce à un champ magnétique. Mais la future invention de Richard fonctionnait également avec du plasma. Cependant, le fait qu'elle utilise les couleurs changeait tout, car son aspirateur transformait les molécules présentes dans la couleur en un état encore incompris par Richard. Cet état était parfait, car en en faisant du plasma, celui-ci ne pouvait pas être contrôlé avec un champ magnétique, mais avec un champ de force télékinésique, encore inconnu du monde entier. Encore une découverte du savant fou prénommé Richard…
◌◊◌
Bertrand Giron est le directeur en chef de l'affaire « Vol de couleurs ». Il travaille directement avec le président des Etats-Unis et le FBI. L'affaire ayant pris une tournure internationale, beaucoup de pays sont sur le coup en collaboration avec la France. Mais pourtant, elle n'est pas dévoilée au public. Imaginez la réaction des gens du monde entier si un tel scandale éclatait… Originaire de France, Bertrand y fut envoyé pour diriger la minorité d'enquêteurs américains sur le territoire. Ils se rendirent sur le lieu du crime trois jours après le drame. Il n'y avait aucune trace apparente de dommage : la vitre protégeant le tableau du monde extérieur était intacte. On aurait dit que les couleurs avaient soudainement disparu du tableau pendant la nuit. Lors de l'interrogatoire du personnel et des gardiens présents à ce moment-là, tous dirent n'avoir rien vu, ni personne, et que c'est seulement le matin, quelques minutes après l'ouverture du musée qu'un employé avait remarqué l'horreur. L'employé en question affirmait ce que les gardiens avaient dit. L'enquête n'avançait pas.
◌◊◌
Durant les quatre mois suivants, Richard fit son travail d'une manière jamais vue ; son efficacité était due à une amélioration considérable de ses instruments anti-couleurs. Pendant 4 mois, Richard supprima quartier par quartier, ville par ville, puis pays par pays toutes les couleurs. L'affaire ne put rester secrète, car les journaux en parlaient dans le monde entier. Mais un témoin avait vu Richard quitter son repaire dans les hangars de la ville de Toulouse avec ses instruments redoutables. Il en informa les autorités, qui préparaient déjà l'intervention. Richard, lui, était déjà prêt : il avait déjà retiré les couleurs de 243 pays ; il lui en manquait 81. Le pays principal manquant était les USA, ainsi que des petites îles perdues au milieu de l’Océan Pacifique. Richard avait les instruments les plus efficaces à sa disposition et le combat contre l’UADC (Unité Anti Déperdition des Couleurs), une unité créée uniquement pour cette affaire-là, semblait gagné d’avance. Mais il ne s’attendait pas à ce que, eux aussi aient des technologies ultra avancées. Le combat final allait avoir lieu dans peu de temps. Mais il voulait faire un petit tour chez les Américains avant, et leur faire une petite frayeur. Ca allait être beaucoup plus facile et plus court que ce qu’il avait imaginé…
◌◊◌
Bertrand eut la pire difficulté à traquer le « colorophobe » qui rendait ce monde aussi triste qu’une 31645e guerre nucléaire entre Donald Trump, Kim Jong-Un et Xi Jinping, avec comme motif un malentendu improbable à propos du mariage pour tous, de la migration de masse, ou du pouvoir suprême acquis sur leurs pays respectifs. Il ne connaissait pas l’identité, ni la localisation de Richard, jusqu’à ce que ce témoin lui vienne en aide. Mais niveau matériel, lui et son équipe étaient bien calés. La perquisition aurait lieu deux jours plus tard.Tous les préparatifs étaient prêts : leur stratégie consistait à encercler et barricader le périmètre avec des tourelles sniper, des missiles sol-air, et des lanceurs balistiques en périphérie. Puis, en centre d’attaque, des hélicos chargés à bloc d’explosifs, de munitions, de miniguns et de snipers thermiques. En front, une armée de 12’800 soldats spécialisés de l’UADC, munis de chars d’assaut lourds et blindés. Avec toutes les technologies prévues contre Black & White (Le surnom autoproclamé de Richard), le combat semblait gagné d’avance. Les unités de l’UADC avaient été multipliées par 2500, le nombre de soldats présents pour la perquisition était désormais de 7’500’000. Une sacrée quantité ! Plus de 80 % des armées des pays ayant décidé de s’engager dans le combat étaient impliquées. Leur matériel était le plus complet et spécialisé de la planète : il contenait une armure extrêmement légère, petite et souple pour les fonctions qu’elle contenait ; de plus, elle offrait une immunité totale sur les points suivants : protection anti-thermique, anti-plasma, antichocs, pare-balles. Elle possédait également les fonctions suivantes : micro-jet pack intégré qui était capable d’aller jusqu’à la stratosphère, un filtre à air ultra puissant, une giga-réserve d’oxygène comprimé dans un minuscule réservoir, un canon à ions, un système d’aide à la visée ultra perfectionné, un système de vision nocturne et encore bien d’autres technologies (oui, car il en restait).
◌◊◌
L’arsenal de Richard était des plus technologiques et des plus complets de la planète. Une tourelle automatique portative à plasma coloré (un joli nom pour une tourelle meurtrière), une tourelle qui consistait à réutiliser les couleurs volées comme arme, un canon à ions, bref, toutes les armes de base en plus des gadgets que l’UADC avait. Mais lui en avait beaucoup plus, et en beaucoup plus performant ! Bref, il comptait littéralement exploser ses ennemis. Il avait toutes les technologies de l’UADC, vu qu’ils s’étaient inspirés de lui, et il le savait. Il connaissait leur stratégie et leur matériel. La sienne était d’aspirer toutes les couleurs des USA depuis le ciel, à plus de 1500 m de hauteur. Et enfin, après ce jour-là, plus de couleurs dans le monde ! Ce serait un monde parfait ! Etant donné que les 80 îles restantes auraient été décolorées sur le trajet, Richard aurait de la grosse munition pour le combat. Il se réjouissait de faire payer ces gens qui lui avaient posé problème pour sa mission. Il avait carrément envie de séjourner dans leur pays, et de s’y installer pour y retirer toutes les couleurs. Mais il comptait faire ça de manière très, mais très spectaculaire. C’est pourquoi il fabriqua une énorme bombe qui fut transportée sur le terrain grâce à des drones blindés, tels que les drones de guerre utilisés par l’armée dans certains pays. Mais cette bombe ne servait pas qu’à détruire, elle servait également à aspirer toutes les couleurs du monde, oui, car il lui restait les couleurs humaines, les couleurs de peau qui causaient tant de problèmes dans le monde, à cause des discriminations. Il comptait arrêter tout ça, même si ce n’était pas sa principale cause, il comptait également le faire pour ça. C’est pourquoi, une fois tous ses préparatifs terminés, il prit son envol dans un avion sécurisé digne de celui du président des États-Unis, le pays qu’il s’apprêtait à anéantir. Une fois arrivé dans le territoire aérien des USA, les radars le détectèrent aussitôt. Donald Trump fut très surpris car il ne s’attendait pas à ce qu’il arrive chez lui. Mais la pression augmenta quand il vit que celui-ci se dirigeait vers la zone 51. Une fois que Richard atterrit, plusieurs milliers de militaires braquèrent leur fusil sur lui. Richard, contre toute attente, lorsqu’il sortit de l’avion équipé d’un minigun chromé arc-en-ciel, commença à tirer. Mais ce à quoi ils ne s’attendaient pas au moment du combat, c’est que le minigun crachait littéralement des arcs-en-ciel, et que ceux-ci leur redonnaient des couleurs. Les tirs étaient à plusieurs millions de degrés. Le combat fut terminé en quelques minutes par une victoire écrasante de Richard. Donald Trump fut pris de stupeur et de rage. Il frôla la crise cardiaque. C’est à ce moment que Richard commença à construire son campement. Une fois le campement établi, il commença les préparatifs de la bombe.
Une heure plus tard.
Ça y est, les préparatifs étaient prêts ; la bombe était prête à exploser. Le monde serait décoloré… Il ne lui restait plus qu’à y mettre le courant, et littéralement tout faire péter. Mais un bruit, puis une multitude de bruits lui parvinrent aux oreilles. C’était l’armée de l’UADC. Ils étaient là ! Les 7’500’000 soldats vinrent l’encercler en un temps record, avec la stratégie d’attaque imaginée par Bertrand. Richard, lui, avait tout compris de la logique de ce monde devenu incolore en seulement 4 mois, il allait mourir sous les tirs acharnés des soldats. Il voulait encore jouer un peu avec les Américains, mais ce fut trop tard. Il devait le faire, afin de ne pas prendre le risque de voir son travail partir en fumée en une fraction de seconde. C’est pourquoi il brancha la bombe, avec un regard de tristesse solennel. Mais tout ne se passa pas comme prévu, et la bombe se mit à parler toute seule avec un ton agaçant et avec une voix hyper aguichante. La bombe fut prise d’abord d’un rire hystérique pendant au moins une bonne minute. Richard, pris d’une surprise tellement grosse que son expression aurait pu effrayer un lion, ne comprit absolument rien à ce qui se passa. Richard ne comprit que trop tard que la bombe avait été trafiquée. L’assaut de l’UADC avait déjà commencé, et les troupes avançaient clairement plus vite que prévu. C'est pourquoi Richard décida d'enclencher ses systèmes de défenses. Les tourelles plasma colorées commencèrent alors à tirer sur les unités de l’UADC. Leurs armures ne servaient à rien car leur technologie avait été contournée par celle de Richard. C'est alors que la bombe arrêta son rire complètement déjanté, puis se mit à faire un décompte de 10 secondes avec une voix grave. Ce furent de très longues secondes pour Richard qui tentait tant bien que mal de désactiver la bombe. Mais rien ne fonctionna, rien ne put la désactiver. Et par-dessus ce décompte de 10 secondes, venait s'ajouter à nouveau cette voix ultra aiguë qui commença à répéter sans cesse : “ T’as perdu ! T’as perdu ! T’as perdu ! T’as perdu !” Lorsque Richard fit le tour de la bombe, il vit d'un seul coup le portrait de Bertrand s'afficher au dos de celle-ci. Mais rien ne put y faire : Richard n'arrivait pas à désactiver la bombe. Les secondes passèrent, et l'assaut de l’UACD commença à se faire ressentir car le bunker se mit à trembler de plus en plus fort. C'est alors que Richard plongea dans son armure, avant de monter directement au front contre les forces de l'ordre. Richard s'envola avec son jet pack au-dessus des soldats, avant de les bombarder de Grenades plasma, mais cette fois-ci, avec du vrai plasma. Évidemment les soldats étaient immunisés contre le plasma, mais la température extrême fit liquéfier le sol en dessous de leurs pieds, les faisant brûler vifs, tout en coulant comme dans une piscine à travers le sol. Mais le temps pressait… Le chrono continuait à tourner, et à crier “T’as perdu !” en boucle. Le décompte annonçait déjà le chiffre 3. Des bombardiers foncèrent droit sur le bunker, Mais ils furent pulvérisés avant d'arriver sur le périmètre à cause des tourelles plasma qui firent, elles, contrairement à la bombe, correctement leur travail. Lorsque Richard comprit enfin que c'était cause perdue, et que la bombe ne se désactiverait jamais, il s'effondra sur le sol de son bunker, face à la triste réalité. Il laissa aussi la bombe sabotée exploser dans son coin. À la fin du décompte, au moment de l'explosion, Richard se recroquevilla en boule afin de se protéger d'une quelconque menace, ce qui est normal car c'est un réflexe humain. Mais rien ne se passa pendant au moins cinq bonnes secondes. puis la bombe se remit à parler, mais cette fois-ci, avec une voix normale ; cette voix, c'était celle de Bertrand ! Elle disait d'un ton grave et solennel: “ça fait au moins 10 bonnes secondes que j'essaie de te le dire, mais tu ne veux rien entendre : TU - AS - PER - DU !!!”. Puis la bombe, cette fois-ci, explosa pour de bon. Il y eut un énorme flash blanc dans le ciel, qui se transforma en arc-en-ciel gigantesque. Le ciel était devenu un immense arc-en-ciel. Les forces de l’UADC profitèrent alors que toutes les technologies de Richard étaient devenues inopérationnelles pour pénétrer dans son bunker et l’abattre de sang-froid, de la même manière que ses parents, par un homme assez grand, d’environ 1.80 m, vêtu d'un costume moulant qui recouvrait son corps des pieds à la tête. Ce costume en une seule pièce représentait un dégradé des 16'581'375 nuances de couleurs connues dans le domaine de l'informatique…
FIN
Épilogue
Le lendemain de l'explosion, toutes les couleurs contenues dans le ciel retombèrent sous forme de pluie colorée. Les camps de suicide collectif arrêtèrent aussitôt leurs activités. Le monde avait repris ce qui lui appartenait. L'humanité avait retrouvé ses couleurs, ses humeurs et son cours habituel. Le passage de Richard dans le monde, malgré une catastrophe de grande ampleur, laissait derrière lui une immense avancée dans le domaine de la science. Il avait perdu, mais avait aidé le monde grâce aux nouvelles technologies qu'il avait apportées.
Martin Hayoz et David Goletta
17 mars 2018, Londres
Kate Taylor ferma d’un geste vif le manuscrit qu’elle venait de terminer. Elle se leva, repoussa sa chaise, et se dirigea dans le salon, où son mari méditait, affalé sur le canapé.
- Chéri ?
- Mmmh ?
- J'ai fini.
Elle eut à peine le temps de terminer sa phrase, que l’écrivain, répondant au nom d’Arthur Taylor, se redressa précipitamment et demanda à sa femme de le rejoindre.
- Et donc, tu en penses quoi ?
- Je trouve très franchement que c’est le meilleur que tu n’aies jamais écrit. Tout est bien ; les phrases, les dialogues, les descriptions, les personnages. Tout est parfait, mais…
- Mais ? la questionna-t-il inquiet.
- À la fin, dans les remerciements…
- Quoi "dans les remerciements" ? Je ne t’ai pas oublié Kate, tu es juste en dessus de mon éditeur !
- Justement Arthur, ça va faire quatre ans que nous sommes mariés et je ne sais rien de lui ! Tu as vu ce que tu as écrit ? Laisse-moi te rafraîchir la mémoire. Il est inscrit : "Merci à E.G., l'homme de l'ombre, qui m'a permis de devenir l'écrivain que je suis aujourd'hui."
- Juste, et alors ?
- Et alors pourquoi cet homme est tellement important dans ta vie et moi, ta femme depuis quatre ans, je n’ai jamais pu le rencontrer ?! Tu as honte de moi ou quoi ?!
- Mais non, voyons ! N’en fais pas un scandale ! C’est juste que c’est quelqu’un de… de…
- De quoi ?! "De l’ombre ", comme tu le cites dans ton livre ?!
- Cesse un peu de dire n’importe quoi ! C’est quelqu’un qui ne souhaite pas être reconnu, voilà tout !
- Qu’il ne veuille pas être reconnu est une chose, mais le fait que tu ne m’aies jamais parlé de lui en est une autre !
- Mais enfin Kate, à 31 ans tu es censée être assez grande pour savoir que tout le monde a ses secrets ! cria-t-il. Toi, moi, et toutes les personnes vivant sur cette planète !
- Ah non, je suis désolée, mais moi je ne t’ai jamais rien caché.
- Rien ?
- Rien. Nada. Alors tu sais ce qu’on va faire ? Tu vas commencer par aller mettre de l’eau à chauffer dans la théière, et ensuite tu vas me raconter toute cette histoire de A à Z puisque, apparemment, il y a des choses que je ne sais pas sur toi.
- T’as de la chance que je t’aime vraiment… dit-il en se levant et en partant vers la cuisine de l’appartement.
16 mai 1985, New York
C’est au court de cette belle journée printanière, qu’Isabel Goldman mit au monde son premier enfant ; Ivy. Edouard Goldman, le père, gardera en mémoire ce jour comme étant le plus beau de toute sa vie. Et il a de quoi. Une femme merveilleuse, un travail dans la plus grande maison d’édition américaine, un appartement avec vue sur Central Park et maintenant, une petite fille. Du haut de ses trente ans, un avenir prometteur se présentait à lui.
Et ce fut le cas. Ils vécurent trois ans de bonheur, au sens propre du terme. Ivy grandissait vite. Trop vite même. Et plus le temps passait, plus elle ressemblait à sa mère. Elle possédait des cheveux châtain ondulé, de toutes petites mains qui vous agrippaient les doigts jusqu’à ne plus les lâcher, un sourire d’ange. Mais le plus joli chez elle, restait malgré tout les deux petites prunelles juste au-dessus de ses joues potelées. Deux yeux bruns, presque noirs, dans lesquels vous pouviez vous perdre.
Deux petites billes toutes rondes qui scrutaient tout dans les moindres détails comme si, du haut de ses trois ans, elle ne reverrait plus jamais les voitures jaunes qui traversent New York, les écureuils de Central Park, ou même tout simplement le ciel bleu qu’elle décrivait comme étant la plus belle chose au monde.
En juin 1988, avant leur départ pour leurs vacances d’été, Isabel Goldman se rendit chez le médecin pour un contrôle de routine. Ce jour-là, elle apprit une nouvelle qu’elle aurait préféré ne jamais connaître… Malgré ça, Madame Goldman resta cette femme forte et, pour le bien de ceux qu’elle aimait, elle garda le secret.
Fin juin, comme il était prévu, la famille Goldman partit en Italie, où, chaque fois qu’ils passaient devant un glacier, leur fille réclamait une glace. Fraise et chocolat, ses parfums favoris. Edouard ne pouvait s’empêcher de rigoler devant les yeux pétillants de bonheur d’Ivy et devant son nez en trompette recouvert de chocolat.
Après l’Italie, ils se rendirent en France, où ils passèrent aussi de merveilleux jours.
En rentrant de vacances, Isabel dut se rendre à l’évidence ; elle était gravement malade. Elle fut hospitalisée et, quelques semaines plus tard, la maladie l’emporta.
C’est le 3 septembre 1988, qu’Isabel Goldman mourut d’un cancer fulgurant, laissant seuls sa fille et son mari.
°°°
- Je reviens, je vais chercher le thé. Il doit être chaud, déclara Arthur.
Kate ne fit qu’un simple signe de tête à son interlocuteur, avant de changer de position. Elle recroquevilla ses genoux contre sa poitrine, et resta muette jusqu’au retour de son mari qui ne tarda pas. Il lui tendit la tasse avec un ourson, sa préférée, puis elle interrogea son époux :
- C’est véridique ?
- Tu crois vraiment que je m’amuserais à te raconter des bobards sur un sujet aussi sensible ?
Il esquissa un sourire puis trempa ses fines lèvres dans le liquide chaud et regarda sa femme dans les yeux avant de l’interroger :
- J’en étais où déjà ?
- Tu venais d’évoquer la mort d’Isabel Goldman, susurra-t-elle.
- Ah oui, c’est juste.
La jeune femme regarda ses pieds, avant d’examiner son mari :
- Qu’est-ce qu’ils ont fait ensuite ? le questionna-t-elle.
- Après ça, Edouard fit face au mieux pour protéger sa petite fille. Cette dernière posait diverses questions à son père. Elle avait beau être très intelligente, voire même en avance pour son âge, elle ne comprenait plus rien. Son papa ne cessait de lui dire : « Tu vois là-haut ? C’est le ciel. Tu sais, le ciel bleu que tu aimes tant regarder ! Et bien maintenant, ta maman, elle est là-bas. Elle a rejoint ton papi et ta mamie. Elle va nous protéger depuis le ciel.
- Donc, le bleu, c’est maman ? demanda-t-elle de sa petite voix.
- Oui, on peut s’imaginer que le bleu c’est maman. »
Ivy leva une main vers le ciel, et la secoua en criant « Coucou maman ! T’as vu, j’ai mis une nouvelle barrette ! Elle te plaît ? » Elle resta un moment à observer l’infini, avant de se tourner vers son père :
« Papa, pourquoi maman ne répond pas ? »
Edouard resta de marbre, regardant « son trésor », comme il aimait l’appeler.
Durant de longues années, il s’occupa de sa fille de son mieux. Il l’avait éduquée comme il l’aurait fait avec sa femme, et avait une excellente relation avec Ivy. Cependant, lorsqu’elle arriva vers la période de l’adolescence, on ressentait le manque de soutien que lui aurait apporté sa mère. Car, peu importe la présence que vous offre un père, personne ne peut remplacer l’attention d’une mère.
Malgré ça, ils passèrent des années merveilleuses à l’écoute l’un de l’autre. Mais un nouveau drame allait tout faire basculer…
5 décembre 1999, New York
En ce premier jeudi de décembre, Ivy et son père se rendirent au Manhattan Mall, célèbre centre commercial New Yorkais, pour y faire quelques courses.
En passant devant une vitrine de décorations, Ivy, qui avait 14 ans, s’arrêta devant et scruta l’intérieur.
- Papa, on peut acheter de nouvelles décorations de Noël ? le questionna-t-elle.
- Non ma chérie, pas aujourd’hui. Et puis on en a assez à la maison. Des belles en plus !
- Mais ça fait une éternité qu’on a les mêmes ! J’en ai ras le bol de ce rouge ! Ce que je veux moi, c’est du bleu ! s’énerva-t-elle.
- Écoute ma puce, aujourd’hui j’ai passé une mauvaise journée ! Alors si tu pouvais éviter de m’énerver encore plus que je ne le suis déjà, ce serait fort aimable !
- Mais enfin, je ne te demande pas la lune ! Je veux juste changer la couleur des décorations de Noël ! Tu sais à quel point le bleu à de l’importance pour moi ! Le bleu c’est maman !
- Ce n’est pas possible ! Grandis un peu bon sang ! s’écria-t-il.
- Mais tu ne comprends rien à rien ! Tiens, va les faire seul tes courses ! Moi je rentre !
Elle partit à toutes jambes. Comment son père ne pouvait-il pas comprendre qu’elle avait besoin du bleu ? Qu’elle avait réussi à surmonter le manque de sa mère grâce au bleu ? Le bleu la rassurait, c’en était devenu une drogue !
Grrrr…. Pourquoi il ne comprend rien !!! jura-t-elle intérieurement. Dans un élan de colère, Ivy shoota dans un lampadaire en métal. Chose qu’elle regretta tout de suite après. Non, mais quelle idée de se fracasser le pied comme elle l’avait fait.
La jeune fille se dirigea en boitillant vers l’arrêt de bus qu’elle atteignit en quelques minutes seulement. Ce dernier ne tarda pas non plus. Elle monta et s’installa sur un siège tout au fond du véhicule, à côté de la fenêtre. C’était sa place favorite. Ivy regarda le paysage recouvert de neige défiler devant ses yeux. Dieu seul sait à quel point elle aimait contempler la ville durant cette période de l’année. Les trottoirs enneigés donnaient directement dans les cafés où les gens se précipitaient pour trouver un minimum de chaleur réconfortante. Les arbres étaient décorés avec des guirlandes lumineuses et, par-ci par-là, on pouvait apercevoir des hommes déguisés en pères Noël dans des magasins où l’on y vendait toutes sortes de babioles pour les fêtes de fin d’année.
Elle fut sortie de ses pensées par un coup de frein qui la propulsa en avant puis, ce fut le trou noir…
°°°
- S’il te plaît, dis-moi qu’elle va s’en sortir ! proclama-t-elle. S’il te plaît…
- J’ai besoin de boire quelque chose de plus fort que du thé avant de te raconter la suite.
Arthur se leva et s’orienta vers le bar, où il entreposait toutes sortes de remontants. Il attrapa une bouteille de whisky et s’en servit un verre. Il retourna s’assoir sur le canapé puis, resta silencieux pendant un instant. Le jeune écrivain avait le regard dans le vide. Nul ne sait où son esprit l’avait encore emmené…
Au bout de quelques minutes, il rompit le silence pour poursuivre son récit :
- Le jour où j’ai rencontré Edouard Goldman, j’avais 26 ans. C’était en avril 2010, en France. À Paris, plus précisément. Je m’y étais rendu car je cherchais désespérément un éditeur. J’avais déjà parcouru tout le Royaume-Uni avec mon premier manuscrit. Mais aucune maison d’édition ne voulait de moi. Ils décrivaient mon texte comme étant trop faible et que ça n’intéresserait jamais personne. Je gardais tout de même espoir… Je me rendis donc en France, là où la plupart des grands de la littérature avait commencé.
J’avais donc une once d’espoir pour y trouver mon bonheur. Espoir que je perdis dès le premier entretien. Ils m’avaient répété les mêmes mots ; faible et aucun intérêt. J’ai craqué. J’en avais marre d’être sans arrêt recalé.
Je suis sorti du bâtiment, j’ai foncé directement vers une poubelle et j’ai balancé mon script dedans. Je suis rentré à l’hôtel et le lendemain j’étais de retour à Londres. J’avais définitivement abandonné ma carrière d’écrivain.
Arthur but une gorgée de son whisky avant de reprendre son récit :
- Quelques jours plus tard, un homme âgé d’une cinquantaine d’années frappa à ma porte. Je me dirigeai vers celle-ci, et l’ouvrit : « Bonjour Monsieur, puis-je vous aider ? » Comme seule réponse, il déclara vouloir s’entretenir avec moi.
Il a ensuite ouvert la fermeture éclair de son sac en bandoulière et m’a tendu un manuscrit que je ne pensais plus jamais revoir.
« - C’est bien vous, Arthur Taylor ? L’auteur de ce livre ?
- Je ne sais pas si on peut appeler ça « livre »… avais-je marmonné.
- Je l’ai lu. »
Je le fis entrer et lui offrit un café bien corsé. Il avait des cheveux gris blanc, des yeux bleus et une barbe de trois jours. Cet homme s’appelait…
- Edouard Goldman, le coupa Kate.
- Exactement.
Il fit une petite pause et reprit à peine quelques secondes plus tard :
- Edouard Goldman ne dit rien pendant un court instant puis prononça une toute petite phrase, une simple phrase, que je n’oublierai jamais. « Je suis éditeur », m’avait-il lancé.
Je me suis liquéfié sur place. Comment s’était-il procuré ce manuscrit ? Je l’avais pourtant balancé dans une poubelle ! Il m’a confessé que, lorsque je suis sorti de la maison d’édition parisienne, il était installé à une terrasse et qu’il avait assisté à mon acte désespéré. Sa curiosité attisée par cette scène, il avait récupéré mon texte.
« - Et alors ? Pourquoi êtes-vous là, et comment avez-vous obtenu mon adresse ?
- J’ai longtemps travaillé dans ce milieu, il a simplement fallu que je fasse quelques coups de fil. Et je suis ici car votre livre, bien que non abouti, m’a bouleversé. Votre problème, certainement lié à votre jeune âge, c’est la précipitation. Il faut du temps, ça doit mûrir, un peu comme une grossesse…
- Bien… au risque de me répéter… Et alors ?
- Et alors je veux bien vous aider. »
C’est ainsi que cet homme est entré dans ma vie.
- Pourquoi ? questionna sa femme.
- Ah ça…. Je ne l’ai pas remarqué tout de suite, mais, au fil du temps, je me suis aperçu que Monsieur Goldman ne vivait que d’une seule couleur.
- C’est-à-dire ? Je ne comprends plus rien là ?
- Ses habits étaient bleus, sa voiture était bleue, sa maison était bleue, ses meubles étaient bleus, ses produits de douches, sa vaisselle, bref, tout était bleu ! Même la société qu’il venait de créer s’appelait Ivy Blue !
- Mais pourquoi ?! s’exclama-t-elle. Tu ne lui as jamais posé la question ?
- Si, je la lui ai posée. Mais il m’a comme qui dirait mis à la porte, comme quoi je n’avais pas à m’immiscer dans sa vie privée. Ce n’est que bien plus tard qu’il se confiera à moi…
5 décembre 1999, New York
Edouard Goldman rentra dans son appartement, sacs de courses dans les bras. « Mon trésor, je suis rentré ! » cria-t-il.
Aucune réponse.
« Ivy ? »
Toujours rien.
Peut-être était-elle simplement dans les embouteillages ? Avec la neige, ce n’était pas quelque chose de nouveau, se résonna-t-il.
Il se résigna à ranger ses achats dans les placards quand, sur les coups de 18h43, quelqu’un lui téléphona :
- Edouard Goldman, j’écoute ?
- Bonsoir Monsieur, vous êtes bien le père d’Ivy Goldman ?
- Oui, parfaitement. Pourquoi ? Que se passe-t-il ?
- Un bus a eu un accident à cause de la neige ; votre fille se trouvait malheureusement à bord. Elle est au NewYork-Presbyterian Lower Manhattan Hospital. On vous attend…
Arrivé sur place, il découvrit sa petite Ivy intubée et reliée à des machines. Le choc l’avait projetée à travers la vitre. Elle souffrait de fractures et d’un traumatisme crânien. Son pronostique vital était engagé, les 48 heures à venir étaient primordiales… Après le choc, il sentit une rage monter en lui. Une rage presque animale. Si seulement il avait acheté ces fichues décorations bleues ! Ils seraient rentrés ensemble et mangeraient leurs sushis devant la télévision. Pourquoi le sort s’acharnait-il ainsi ?!
L’infirmière entra dans la chambre et s’adressa à lui :
- Vous pouvez lui parler, on dit que ça aide les gens dans le coma à se battre et à se réveiller.
Une fois seul avec sa fille, il s’assit à ses côtés, lui prit la main et dit, la voix tremblante :
- Ma petite Ivy, tu m’entends ? Réveille-toi, je t’en prie ! J’ai besoin de toi, tu es mon grand trésor, tu le sais n’est-ce-pas ? Tu imagines, nous devrions être en train de manger des sushis… et voilà… il faut te battre, reviens, je t’en supplie !
Tout ça à cause de ces décorations de sapin… Et bien tu sais quoi, ma chérie ?
Moi qui n’aime pas le bleu, je te fais une promesse : si tu te réveilles, je te promets que je change les canapés et j’en prends des bleus ! Tu sais, ceux que tu trouvais beaux dans le catalogue ? Et pareil pour les décos de Noël, pour ta chambre, et même moi, je suis prêt à m’habiller en bleu ! Mais reviens mon cœur, je t’en supplie mon trésor reviens…
Des larmes roulaient sur ses joues. Il passa la nuit à ses côtés, lui parlant, s’endormant et se réveillant en sursaut…
Après 2 jours, l’état de santé d’Ivy s’aggrava encore… Les chirurgiens tentèrent une opération pour soulager son traumatisme crânien, mais en vain… Ivy mourut le 7 décembre 1999, laissant son père dans un profond et terrible chagrin…
Ivy fut enterrée auprès de sa maman. Des myosotis bleus formaient une gerbe. Au moment de l’ensevelissement, Edouard Goldman embrassa le cercueil avant sa mise en terre, et murmura ces quelques mots :
- Embrasse ta douce maman pour moi… Et pour vous garder toutes les deux auprès de moi, je tiendrai ma promesse…