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Nayeon

Tout avait commencé un premier jour d’été. Busan était plongée dans un océan de chaleur. Le ciel était de couleur azur. Les rayons de soleil tapaient si fort que des branches d’arbre auraient brûlé, mais c’était plutôt les habitants de Busan qui pouvaient finir carbonisés.


Nayeon, une Coréenne née avec des cheveux ébènes, venait de terminer sa dernière journée de cours. Elle était plus qu’heureuse de ne pas retourner dans ce lieu infâme, ses camarades de classe se moquaient souvent de sa couleur de peau car celle-ci était foncée. Avoir une peau foncée en Corée signifiait être pauvre et impur. L’adolescente était victime de plein de moqueries alors qu’elle n’avait pas choisi d’avoir une peau aussi bronzée.


Aussi, la jeune fille ne voulait plus aller en cours car elle n’en pouvait plus de ses professeurs et surtout, en fin d’année, la salle de classe sentait fort la transpiration. Son uniforme lui collait à la peau et ses mains étaient tellement moites qu’elle n’arrivait même pas à tenir son stylo sans qu’il glisse entre ses doigts.


L’adolescente en avait marre et son corps tout entier bouillonnait. Si elle ne se rafraîchit pas rapidement, elle déclenchera un incendie dans sa ville.


Mais, sur le chemin pour rentrer chez elle, son regard charbonneux se posa sur la rue d’en face, précisément sur une façade rose bonbon avec écrit «Glaces et Sorbets». Il était rare de trouver un marchand de glaces dans Busan avec une façade aussi pétante. Elle n’avait jamais vu ce glacier dans sa ville, et elle avait besoin d’une glace ! Elle se dirigea vers le marchand et ouvrit la porte. Une clochette bleutée accrochée sur la porte émit un son.



Jamais Nayeon n’avait vu un endroit aussi coloré. Ses yeux scrutèrent chaque coin de la pièce. Les murs étaient semblables à la façade, le sol était en damier, chaque carré était soit rose saumon, soit bleu dragée, ou jaune sable ou encore turquoise, comme les couleurs d’un chamallow.


Mais ce qui attirait le plus la jeune fille aux cheveux noirs, c’était tous les parfums de glaces qui se trouvaient dans le magasin. Il y en avait pour tous les goûts. Les glaces étaient présentées dans des récipients en acier. Elles se distinguaient par leurs couleurs, se coloraient et se décoloraient suivant leurs parfums.


Soudain, la porte de l’arrière-boutique s’ouvrit. Un jeune homme aux cheveux carotte légèrement en bataille, avec quelques mèches couleur cerise venait d’entrer. Il portait une chemise blanche avec les manches retroussées, un jean noir, des baskets multicolores aux lacets défaits et un tablier de couleur menthe. Une casquette moutarde coiffait ses cheveux roux et sa peau était blanche comme de la craie. Il devait être l’employé du magasin car il maintenait entre ses bras deux énormes cartons et n’avait pas remarqué la présence de Nayeon à cause d’une des boîtes qui lui cachait la vue. Mais son pied glissa sur un de ses lacets et il tomba. Des petites billes en mousse s’échouèrent partout sur le sol et l’employé se prit tout le contenu en pleine face.


La noiraude, qui avait vu toute la scène, se précipita vers le garçon aux mèches colorées pour s’assurer qu’il ne soit pas blessé.


– Vous allez bien ? demanda Nayeon affolée. L’hôpital n’est pas si...

– Pas de soucis, lui dit le jeune homme en lui souriant. Et tu peux me tutoyer, je pense qu’on a le même âge.

– J’ai dix-sept ans, et toi ?

– Dix-huit !


Il se baissa et récupéra sa casquette pour ensuite détacher les billes qui s’étaient accrochés sur celle-ci et la mettre sur sa touffe de cheveux.


– Ah oui, tu veux une glace ?

– Oh oui, je meurs de chaud !


Mais au moment ou Nayeon se souvint de tous les parfums qu’il y avait, elle sentit qu’elle allait passer plus de temps à choisir sa glace qu’à la manger.


– Mais c’est impossible d’en choisir une... Je fais comment ?

– Je vais t’en choisir une, attends deux petites secondes.


Le glacier partit vers le stand de glaces et prit une cuillère exprès pour faire des boules. Il ouvrit la glacière qui gardait les crèmes glacées au frais et y plongea sa cuillère. Celle-ci avait maintenant une boule blanchâtre et jaune pastel avec des paillettes dorées. L’employé aux cheveux carotte posa la crème glacée dans un cornet et le tendit à Nayeon. Lorsqu’elle sortit son porte-monnaie pour payer, il s’exclama:


– Tu n’as pas besoin de payer, c’est cadeau.

– M-merci mais...

– Je t’ai dit de ne pas t’inquiéter.


La jeune fille rougissante le remercia en lui souriant et demanda:


– Elle est à quoi, la glace ?

– C’est aux myrtilles et au yuzu, un agrume japonais. Goûte avant que ça fonde !


Nayeon n’hésita pas une seconde et passa sa langue dessus. Le mélange entre les deux fruits se combinait parfaitement, les myrtilles masquaient l’acidité du yuzu pour que celui-ci ne soit pas trop désagréable. Jamais l’adolescente n’avait goûté une glace aussi bonne.


– C’est délicieux ! Tu as une recette secrète, c’est ça ?

– Un secret reste un secret, dit le jeune homme, en faisant un clin d’œil.


Pendant que Nayeon dévorait sa glace, l’employé avait prit un balai avec sa ramassoire et ramassait toutes les billes qui traînaient encore par terre.


Mais la lycéenne avait remarqué quelque chose, elle ne savait toujours pas le prénom de celui qui lui avait offert la glace.


– Hé ! Je sais même pas comment tu t’appelles, fit le rouquin en arrêtant de balayer le sol.

Il lit dans mes pensées ou quoi ?

– Je m’appelle Im Nayeon et toi ?

– Moi, c’est Lee Felix !


Ça faisait maintenant plusieurs semaines que Felix et Nayeon se connaissaient. La jeune fille venait souvent chez le glacier (pas toujours pour prendre des glaces, sinon elle n’arriverait même plus à passer la porte) et passait ses après-midi avec lui. Nayeon avait enfin trouvé un ami qui l’acceptait comme elle était. Ils s’amusaient bien ensemble et les deux étaient vraiment devenus proches.


Un soir de pluie, la porte du glacier s’était brusquement ouverte, alors que le magasin était censé fermer puisqu’il était tard. C’était l’adolescente qui venait d’entrer, mais elle n’avait pas l’air bien. Ses paupières débordaient de larmes et son visage était meurtri par la tristesse. Elle cherchait Felix, elle avait besoin de lui. Quand ses yeux de charbon le trouvèrent, Nayeon courut et l’enlaça. Le roux, ne comprenant pas ce qui se passait, la réconforta en la serrant plus fort dans ses bras.


– Chutt... murmura Felix en lui caressant les cheveux. Je suis là, tu n’as pas à pleurer.


Les petites mains de Nayeon agrippèrent sa chemise et sa tête s’était enfouie près de son torse, son corps contre le sien. Le rouquin continuait de lui chuchoter des mots doux. Ils restèrent plusieurs minutes dans cette position, ils pouvaient rester comme ça pendant des heures.


– Ça va mieux maintenant ? demanda Felix, sentant qu’elle avait arrêté de sangloter.

– Ou-oui... Je pourrais avoir un verre d’eau ?

– Bien sûr.


Le glacier s’éclipsa vers l’arrière-boutique tandis que la jeune fille s’était assise sur un siège. Il revint avec un verre rempli à ras bord et le donna à Nayeon.


– Raconte-moi tout ce qui s’est passé, je n’aime pas te voir triste, fit Felix en s’asseyant à côté d’elle.

– Alors, commença la jeune fille, tout s’est passé dans la rue. Je marchais tranquillement puis j’ai vu un garçon qui se trouvait dans la même classe que moi, il y a quelques années. Il m’a dit que même en grandissant, je ne ressemblais à rien... et...


Des larmes s’étaient remises à couler le long de ses joues.


– J’en ai marre. Pourquoi y a personne d’autre à part moi qui a une peau aussi foncée ? Pourquoi personne ne comprend que ce n’est pas moi qui ai décidé d’être comme ça ? Pour...


Elle s’arrêta de parler car Felix venait de poser sa main sur la sienne et la serra pour lui montrer qu’elle avait tort.


– Tu n’as pas besoin de changer, crois-moi.

– Pourtant...

Un doigt se posa sur ses fines lèvres, l’obligeant à se taire.

– Tu es magnifique, Nayeon.


La jeune fille soupira, limite exaspérée, ne croyant aucun mot de ce qu’il disait. Elle retira le doigt qui était collé contre sa bouche.


– Non, j’aimerais que tout cela s’arrête, fit-elle sèchement. Tu ne peux pas me comprendre, Felix.


À cause de cette réaction, ils ne pouvaient plus se regarder dans les yeux, Nayeon fuyait le regard triste qu’exprimait le roux. Leurs mains ne se touchaient maintenant qu'à peine. La noiraude pleurait silencieusement tandis que lui restait de marbre.


– Je dois fermer le magasin, trancha Felix avec froideur. Mais avant de te laisser partir, je voudrais que tu goûtes ça en route.


Le glacier disparut de la pièce, et quand il rejoignit l’adolescente, un gros pot transparent en verre qui avait l’air fragile et lourd se trouvait dans ses bras, Une étiquette avec écrit dessus Blanche-Neige en calligraphie était collée sur le verre. Il prit une cuillère et posa le bocal sur une table. Il ouvrit le bocal et des milliers d’étincelles jaillirent de celui-ci. Le pot contenait une glace semblable à de la neige et des éclats rosés s’étaient éparpillés dessus. Felix qui détenait la cuillère la noya dans la crème glacée puis il en déposa dans un cornet.


Il tendit le cornet à Nayeon, et la raccompagna vers la sortie. L’ambiance était tendue et personne n’osait parler. Pour finir, les deux amis se dirent un bref salut et la jeune fille rentra chez elle.


Une nouvelle journée venait de commencer. Les étoiles n’avaient pas brillé cette nuit. Il pleuvait toujours abondamment et le temps se faisait frisquet. Nayeon n’avait pas vraiment fermé l’œil de la nuit. Mais elle avait quand même fini par s’endormir.


Comme chaque matin, la jeune fille prenait une douche. Après s'être déshabillée, elle se regarda dans la glace d’un air las jusqu’à ce qu’elle découvre que son corps n’était pas comme d’habitude. Son corps s’écroula contre le sol de la salle de bain. Sa peau était recouverte de blanc, ses lèvres avaient une teinte écarlate et ses cheveux n’avaient jamais eu autant de noirceur.


– Co-comment ça se fait, balbutia Nayeon en tâtant son visage de haut en bas. C’est p-pas p-possible...


Tout à coup, elle se souvint de la veille, de la crème glacée que Felix lui avait offerte. La glace se nommait Blanche-Neige. L’héroïne du conte a aussi une peau en porcelaine, une chevelure sombre et une bouche rouge comme la couleur des rubis. La noiraude était persuadée que c’était le rouquin derrière tout ça. Il n’y avait que lui qui l’aimait et qui ferait n’importe quoi pour elle.


L’adolescente n’attendit pas un instant et se prépara vite pour remercier celui qui venait de réaliser son rêve. Elle voulait absolument se faire pardonner pour le comportement qu’elle avait eu le soir passé. Quand elle arriva devant la façade du magasin, son cœur se fracassa en mille morceaux, ses membres tremblèrent à cause du froid mais aussi à cause du choc qui les engourdit.


La façade n’avait plus cette teinte rosée, elle était remplacée par un mur gris, sans vie. Cette porte qu'elle était toujours heureuse d’ouvrir avait aussi disparu. Nayeon ne tenait plus sur ses deux pieds, elle s’effondra par terre, les yeux débordant de larmes. Il était impossible qu’elle arrête de pleurer et de hurler. Elle cria le prénom du glacier jusqu’à en détruire ses poumons. L’adolescente avait perdu la personne qui la chérissait par-dessus tout, qui avait passé les meilleurs moments avec elle, et surtout qui lui faisait oublier tous ses problèmes. Nayeon venait de perdre son seul meilleur ami, son chagrin ne pourrait jamais guérir.


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