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  • Photo du rédacteurSophie

La pluie ne vieillit pas

Assis à table, la tête appuyée sur ses mains, il est paisiblement entrain de rêver quand soudain... il sursaute !


- Chéri, tu t’es encore endormi ! Bon, tu peux aider Agathe pour son devoir de géographie s’il te plaît ?


- Hein..., quoi... ? dit Alexandre. Ah..., oui bien sûr ! Allez, viens ma puce on va travailler.


- Alors tu vois là, il faut faire un graphique et noter le taux de la population rurale, la population urbaine et la population mondiale.

- Ah, mais c’est juste ça ? dit Agathe.

- Oui exactement ça !

- Cool, merci papa, maintenant je peux aller jouer ! s’exclame la fillette.

- Eh, attends c’était ton dernier devoir ?

- Oui ne t’inquiète pas !


Et smack elle lui dépose un bisou et s’en va.


Alexandre a 44 ans. Il est père de deux enfants ; Agathe 8 ans et Julien 3 ans. Marié à Stacy, ils vivent dans une belle petite maison en bord de mer.


Alexandre est de nature impatiente et curieuse. Il aime beaucoup son travail, sa maison, sa famille mais depuis quelques temps il semble très pensif. Il semble surtout intéressé par la mort. Comme il est vraiment impatient, il cherche à tout prix un moyen d’aller dans le monde des morts pour assouvir son désir de curiosité, mais ça il ne l’a raconté à personne. Il cherche, il cherche mais ne trouve pas de moyen pour atteindre son but. Alors il décide de se concentrer sur la vaisselle.


Une fois, cette tâche terminée, il peut se remettre à chercher une idée pour trouver comment aller dans le monde des morts. “Ça y est ! Mais qu’est-ce que je suis bête de ne pas y avoir pensé plus tôt”, se dit-il. Il irait à la droguerie acheter des cachets pour se suicider. Le seul problème est qu’il ne doit pas se faire remarquer. Alors l’unique moyen d’y arriver est de trouver une excuse puis de la donner à son boulot et à sa famille. Ainsi il crée un faux mail sur son ordinateur et se l’envoie à lui-même. Puis, il dit à sa femme :


- Chérie, j’ai une mauvaise nouvelle à t’annoncer ! Je dois partir en voyage pour le boulot avec toute mon équipe.

- Oh non !!!!!! Et c’est quand ??

- Vendredi...

- Quoi !??! s'égosille Stacy. Mais on est mardi, donc c’est dans trois jours !!! Oh mon dieu.


Le lendemain matin, il part au travail et tout ne se passe pas comme prévu.


- Monsieur Pétricor, votre employé Monsieur Alexandre Keller veut vous parler, dit un secrétaire.

- Eh bien, faites-le entrer !

- Bonjour monsieur Pétricor, je voulais vous parler d’une chose...

- Eh bien, je vous écoute !

- Je vais partir en vacances avec ma famille.


En disant ces mots Alexandre a des gouttes de sueur qui coulent sur son front car il sait que son chef réagira mal.


- Eh bien... dit-il en étant plongé dans ses pensées, mais... attendez..., quoi ???!!!? Non ce n’est pas possible vous êtes mon meilleur employé !

- Je sais mais je ne peux pas décevoir ma femme, vous la connaissez !

- Eh bien si c’est pour le bien de votre famille, alors déguerpissez que je ne vous voie plus jusqu'à votre retour ! Déjà que je vous vois dans mes rêves, alors là je vais vous voir partout !

- Ah ok... bon, alors au revoir monsieur.

- Au fait, vous partez combien de temps ???

- Euh... pendant, pendant...

- Pendant ??? Eh bien répondez-moi enfin !

- Pendant un ou deux mois, au revoir monsieur.


Il s’enfuit et s’en alla à la droguerie, mais... horreur, il croise sa femme, donc vite il se dépêche de courir à la boulangerie d’en face. Mais trop tard ! Elle l’a vu, alors il prend un air décontracté et lui dit bonjour avec un sourire forcé.

- Bonjour mon chéri, tu n’es pas au travail ?

- Heu non, j’ai ma pause, dit-il embarrassé.

- Bah dis donc, elle est tôt aujourd’hui !

- Ah oui je n’avais pas remarqué. Bon j’y retourne. Bye !

C’est raté pour la droguerie mais il y retournera après.

Quelques heures plus tard, après avoir attendu sur un banc, il achète ses cachets et il rentre à la maison.


A peine arrivé, il range les médicaments dans le double fond de son tiroir de table de chevet.

Tout excité d’avoir réussi sa mission, il est impatient d’être vendredi pour tenter cette expérience.


Pour ne pas éveiller les soupçons de sa femme et de son chef, Alexandre doit vagabonder dans la ville tout le mercredi, le jeudi et le vendredi.


Vendredi soir, lors du repas, une cuillère d’épinards bien posée dans l’assiette de Julien, son fils, voltige soudainement durant quelques secondes et atterrit sur le père de famille abasourdi tellement il est perdu dans ses pensées. Ce petit choc est l’excuse parfaite pour lui. Il se lève, prétexte l'urgence du départ et, après avoir embrassé sa femme et ses enfants, part soit-disant en voyage.


En réalité, Alexandre roule quelques heures jusqu’à la piscine municipale qui est fermée. Il connait bien cet endroit et n’a pas trop de mal à trouver une entrée clandestine à l’arrière du bâtiment. Son plan est de vivre son expérience au calme dans ces vestiaires familiers.


Après une longue réflexion, ce qui n’est pas habituel pour lui, il prend rapidement ses cachets et s’endort avec un gros mal de tête.


Peu de temps après, il se réveille dans un endroit tout blanc et inconnu. Il se lève et marche longuement. Soudain, à bout de force, il aperçoit un point coloré. Il s’y approche et entre dans un tunnel lumineux.


Une voix lointaine et résonnante retentit. “Bonjour Alexandre, tu te trouves en ce moment dans cet espace mystérieux entre la vie et la mort. Tu as deux possibilités mais un seul choix. Soit tu reviens en vie, soit tu entres dans le monde des morts. A toi de choisir, mais choisis bien car cela sera irréversible.

- Alors moi je ne veux aucune de tes possibilités la petite voix ! Moi, ce que je veux c’est expérimenter ton monde pendant un mois, dit-il de manière assurée.

- Je suis désolée mais ce ne sera pas possible car c’est soit l’un soit l’autre.

- Mais je m’en fiche que ce ne soit pas possible ! Au pire tu fais une exception.

− Très bien. Je vais t’envoyer dans le monde des morts mais ne viens pas pleurnicher dans ma tunique si tu le regrettes.”


Et “zwouip”, il se retrouve dans un monde étrange.

Après qu’un jeune homme lui ait attribué un logement, il s’affale sur son lit et s’endort ravi d’être dans un monde inconnu et assoiffé par l’aventure.

Le lendemain matin, il se lève tôt pour profiter de la journée. La première chose qui le choque est l'absence de soleil. Alors il sort le carnet dans lequel il a prévu de noter tout ce qui est différent que dans son monde et y note “Dans le monde des morts, il n’y a pas de soleil.”

Ensuite il commence à découvrir avec émerveillement les bâtiments typiques. Il croise son grand-père Jacqui qui l’invite à boire le thé et lui explique le fonctionnement de la ville. Il mange des burgers transparents et rigole car il voit le thé transparent couler dans l’œsophage de Jacqui lui-même transparent. Après une journée aussi fatigante que palpitante, il décide de se payer un restaurant.


La semaine suivante il n’a toujours pas fini de visiter l’étrange monde. Alors il étudie un plan des églises et s’y rend. Il n’a pas mis un seul pied dans l’église Ellabroyère quand on l’arrête.

- Mais monsieur je n’ai rien fait !

- Oui, je sais mais on ne peut pas vous laisser passer car notre job c’est d’arrêter tous les gens qui ne sont pas transparents, dit le garde.

- Je suis désolé mais je suis nouveau et je ne savais pas.

- Ok, c’est bon pour cette fois.

“Drôles de types”, se dit-il.


Alexandre pénètre dans l’église. Là il découvre que les morts n’ont pas de religion. Il s’assied sur un banc et s’assoupit. Une heure après, il se réveille et rentre chez lui. Les jours suivants, il passe son temps à visiter d'autres églises.


Pendant ce temps, Stacy, Agathe et Julien poursuivent leur routine.

Un matin, la femme d’Alexandre passe devant le bureau de son mari. Elle voit que tous les employés de l’équipe sont à leur poste. Éberluée, elle entre dans le bureau et demande pourquoi ils ne sont pas en voyage.

Monsieur Pétri-cor arrive et, surpris d’entendre la voix de Stacy, demande à son tour ce qu’elle fait là alors qu’elle est censée être en vacances.

Après une longue discussion, ils se rendent au poste de police pour déclarer la disparition d’Alexandre.


Un mois après, dans le monde des morts...

Alexandre est dans son lit et il crie de toutes ses forces !

- Bon... la mort ! C'est bon là, tu peux venir me rechercher ! Je ne voudrais pas trop manquer à ma famille.

“Écoute moi, jadis j’ai voulu te prévenir que tu ne pourrais plus revenir en arrière mais tu n’as pas voulu m’écouter. Donc ton sort est de rester ici jusqu'à ce que ton âme trouve un autre corps. Bonne nuit !”

Et la voix s’éloigne.

Alors une colère incontrôlable envahit sa gorge et il explose en sanglots.


Le temps lui semble long. Alexandre a le sentiment d’avoir véritablement terminé son exploration dans ce monde. Il déprime et, contre son gré, il revisite les églises qu’il a déjà découvertes. Cela lui permet de sentir proche de son fils qui est un passionné.

Malgré cela, il se sent mal et regrette amèrement son choix.

Sans savoir exactement comment, Alexandre tient le coup et, jour après jour, il se lève, s’habille, mange quelque chose et voit les jours défiler.


Quelques années après, la petite voix revient vers Alexandre et lui dit :

“Écoute Alexandre, j'ai beaucoup réfléchi et je pense que tout homme a droit à une deuxième chance. Alors j'aimerais juste que tu te rendes compte de la bêtise que tu as faite et j'aimerais que tu écoutes attentivement ces mots.”

...

“Le temps est le seul phénomène que l’homme ne peut pas contrôler, alors ne gaspille pas ton temps à vouloir changer le moment présent.”


“Ah, et j'ai oublié de te dire qu'une année dans le monde des morts représente 10 ans sur Terre. Cela veut dire que tu seras surement célibataire car ta femme a vieilli et t’a probablement oublié. Maintenant, file et ne fait plus de bêtises !”


L’homme remercie la mort et ne se fait pas prier pour déguerpir aussitôt.

Après un voyage de retour plein de sensations étranges, il se retrouve dans les vestiaires de la piscine.

Il rentre chez lui mais son ancienne maison est abandonnée.

Il décide de se payer un hôtel et le lendemain il erre dans les rues, vide et dépressif.

Une bouteille de bière à la main, Alexandre se rend dans l'église préférée de son fils.

Sur le chemin, il voit une vieille dame qui se dirige au même endroit que lui.

Il commence à la suivre et se rend compte qu’elle lui fait penser à son ancienne femme.

Quand il sort de l’église il pleut.

Sa fille aime tant la pluie !

En se remémorant ces vieux souvenirs, il jette à la poubelle sa bière et a un flash ; il court vers cette femme qu’il a reconnue, il la soulève de toutes ses forces en criant par-dessus tous les toits : “Stacy, c’est Stacy ! J'ai retrouvé Stacy !”.

Il crie, il pleure de joie et l’a fait tournoyer dans les airs. Elle aussi l’avait reconnu.

C'est vrai qu'elle a pris un coup de vieux mais… la pluie, elle, n’a pas vieilli…


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