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Aurais-je rêvé ?


Chaque jour de ma vie me semblait éternellement interminable. Vingt-quatre heures pour moi, c’était une très longue année de tristesse. Vous l’aurez compris, ma tête était vide et mon cœur baignait dans un néant de chagrin. Pourtant, quand j’étais en classe ou pendant la journée en général, je donnais l’impression d’être une jeune fille de 14 ans certes timide mais également joyeuse. Il faut dire qu’avec mon physique, je ne ressemblais pas à une personne en dépression. J’avais une longue chevelure blonde, un visage fin et ovale, quelques dizaines de taches de rousseur et de grands yeux bleu émeraude. Mes vêtements étaient corrects, ils ne venaient pas de marques connues, mais ils n’étaient pas troués ni déchirés. Toutefois avec ma personnalité, mes camarades de classe me trouvaient étrange, mystérieuse et ils ne voulaient pas de moi. Il faut avouer que je ne faisais rien pour arranger ma situation. Mais j’avais une excuse à tout cela. Ma mère venait de nous quitter, mon père et moi, pour rejoindre les anges. Elle s’était battue contre une maladie qui s’appelle le cancer.


La séparation fut vraiment très compliquée à vivre et douloureuse. Chaque soir, je pleurais car je mourrais d’envie de la revoir pour lui dire que je l’aimais de tout mon cœur. En parlant de mon cœur, il me serrait toujours la poitrine dès que je pensais à elle. Mes larmes coulaient vite quand la moindre pensée envers ma maman me venait à l’esprit.


Un jour, en voyant sa photo posée sur ma table de nuit, je fus saisie d’angoisses. Ces palpitations arrivaient fréquemment. Je ressentais alors le besoin de faire du sport à n’en plus finir pour comblerons manque. Ce soir-là je décidai de partir marcher en forêt. Je n’avais rien sur moi, juste des chaussures et des habits mais c’était tout.


En arrivant à la lisière de la forêt, je marchais déjà depuis plusieurs heures car ma maison se trouvait dans la ville, loin de la campagne. Comme je me baladais depuis longtemps, la fatigue m’assaillit. Mes muscles étaient tout flagadas et je commençai doucement à m’endormir debout. Puis je m’évanouis de fatigue.


Lorsque que me réveillai, je me trouvai au fin fond des bois. J’étais allongée sur des brindilles humides. Une odeur de terre mouillée couvrait l’entièreté de la forêt. La froideur de l’hiver se faisait ressentir. Au moment où je me levai, j’entendis des piaillements d’oiseaux et le roucoulement d’un hibou. Le vent sifflait dans l’écorce séchée des arbres. Les immenses chênes rougeâtres portaient tellement de feuilles que je ne pouvais pratiquement pas voir le ciel étoilé et la lune. Je me dis dans ma tête que c’était dangereux, intrépide et irresponsable de rester ici. Mais je ne savais comment retourner chez moi. Alors je décidai d’y aller au talent, comme si j’avais un sixième sens. Sauf qu’à ce moment-là, j’entendis un curieux murmure qui me provoqua une frayeur épouvantable. Je fus tellement effrayée que je perdis le contrôle de mes jambes et je tombai par terre. Les murmures commencèrent à devenir des voix de plus en plus fortes. Alors je décidai de m’enfuir en cavalant. Je courus de toutes mes forces, mais les voix me suivaient. A un moment donné je compris que j’étais comme le centre d’un cercle. J'avais beau courir, les voix étaient là et m’encerclaient. Au bout d’un long moment les voix commencèrent à murmurer en chœur:

-Tourne à droite et ensuite vas tout droit, arrête-toi et observe.


Je compris qu’elles me donnaient des directions. Je commençai alors mon chemin. La première indication demandait de faire un court virage à droite, ce que je fis. En face de moi se tenait un gigantesque sapin. Son odeur me rappela les Noëls passés avec ma mère. Je me souvins des divers cadeaux, le goût du pain d’épices et du chocolat, les épines tombées du sapin qui me piquaient les pieds quand je marchais dessus, la musique des chants de Noël à la messe, le repas d’une grosse dinde dodue avec les légumes farcis, la glace à la vanille avec le coulant de framboises par-dessus, l’amour et l’harmonie qui régnait dans ma famille autrefois. Ce souvenir me procura du bien-être.


La deuxième indication était de continuer tout droit et de m’arrêter dans une clairière. Quand j’arrivai dans cette clairière d’herbes fraîches, je repensai directement au dernier pique-nique auprès de ma maman avant qu’elle aille à l’hôpital. On avait étendu une nappe rouge et blanche qui sentait la cannelle. On avait préparé des sandwichs au jambon et au beurre, des muffins salés aux herbes provençales, deux parts de tortilla espagnole et des tartelettes au sirop d’érable. A ces souvenirs évocateurs, les larmes me montèrent aux yeux. J’avais l’impression que ma mère était revenue dans le monde des vivants.


Soudain j’aperçus au loin une silhouette féminine s’approcher de moi. Son visage était encerclé par de longs cheveux noirs ondulés, des yeux en amande de la couleur des châtaignes, une peau blanche comme des pétales d’edelweiss et des lèvres d’un vernis rouge vif. Mon ressenti devint réalité. Ma mère était là. Mes sentiments se mélangèrent , mon esprit était bouleversé. J’étais à la fois en colère et triste. Elle s’avança et me tendit un collier formé de perles en cristal rouge. Elle prononça ces quelques mots :


-Ma chérie, avant ma mort j’ai oublié de t’offrir ce bijou, il appartenait à ma mère. Il est fait pour réunir le monde des vivants et des morts. Mets-le autour de ton cou et ne l’enlève jamais.


Elle me prit dans ses bras et je me mis à pleurer de joie. Nous nous couchâmes sur les feuilles dorées. Je me sentais enfin en sécurité et je m’endormis à ses côtés.


A mon réveil, je me trouvais étrangement dans ma chambre. Une sensation de malaise m’envahit. Aurais-je rêvé, moi qui espérais tant le retour de ma mère? Je me levai sans mouvement brusque, vacillante, mes pieds salis par la terre. J’aperçus mon visage dans le miroir. Le collier de perles de cristal rouge scintillait à mon cou. Un sentiment de paix apaisa mon corps meurtri, je compris à ce moment que telles les perles qui s’alignaient, les souvenirs, la chaleur, l’amour, l’affection de ma mère seraient toujours en moi.


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