Le passé ne s’efface jamais
Le passé ne s’efface pas, même dans la tombe. Alison était là, à genoux dans le cimetière devant la tombe de son amie Zia, qui avait été retrouvée morte dans la forêt, sans explication, sans preuve, sans personne, sans coupable. Alison ne laissait rien paraître, mais à l’intérieur quelque chose s’était évanoui en même temps que le cœur de Zia lâchait. Était-ce dû au chagrin, à la peur ou au soulagement ? Dans la tombe, elle avait emporté secret, vie et douleurs. Personne ne savait comment elle avait rendu l’âme. Une chose était sûre, elle avait été assassinée, le jour de son anniversaire. Zia venait d’avoir 16 ans et elle était maintenant connue dans les journaux pour avoir fait les gros titres: « Zia, une jeune fille mystérieusement assassinée le jour de son anniversaire. »
« Elle aurait adoré cela », se dit Alison. Zia était très différente d’Alison. Elle adorait avoir toute l’attention sur elle. C’était une fille très jolie aux longs cheveux blonds, avec des yeux bleus enivrants qui vous hypnotisaient à volonté. Elle faisait fureur dans son lycée, mais même si elle était populaire, beaucoup de gens la détestaient. Cependant, elle préférait garder le secret de peur d’être menacée et humiliée devant tout le monde. Sa seule vraie amie était sûrement Alison, qui elle, était vraiment à l’opposé. Elle avait un cœur pur, détestait être au centre de l’attention et aurait été horrifiée si elle avait fait les gros titres. « Zia, je suis sûre que tu dois adorer la façon dont tu es morte, dans une vague de mystère et dans les journaux », chuchota Alison seule dans le noir du cimetière. Une larme coula sur sa joue en voyant le prénom gravé à jamais sur cette tombe. « Mon secret a péri avec toi, mais même morte on parle encore de toi. Tu faisais ressortir le plus noir en moi, qui le fera à présent? Personne! cria-t-elle en rompant le silence pesant. Toi qui a toujours cru à la réincarnation, aux fantômes et aux esprits, j’espère que tu constates enfin par tes propres yeux que j’avais raison et que ce ne sont que des histoires. Tu étais loin d’avoir une âme pure, mais au fond tu ne peux t’en prendre qu’à toi. Je t’aimais, tu faisais ressortir le sombre en moi et le plus dangereux. Je te hais pour cela, mais tout est effacé maintenant que tu as péri. »
Elle se leva après le dernier mot qu’elle avait prononcé. Une sensation de soulagement la traversait comme si l’âme de Zia allait cesser de la hanter pour toujours. Elle venait de rompre les liens d’une relation toxique, tout venait de sortir, elle se sentait vide et sans regret. J’aurais dû te le dire dès le premier jour, tu m’aurais ainsi pas fait vivre un enfer sur terre.
La nuit fut courte pour Alison, elle rêvait en boucle que Zia ressortait de sa tombe, révélait la vérité, et mettait à jour la noirceur d’Alison, qui était la première de classe, un modèle pour tout le monde. Puis soudain la porte s’ouvrit à la volée, réveillant Alison qui se répétait les derniers mots de Zia dans son rêve « Que je sois morte ou vivante, tout le monde paie les dettes qu’il a envers moi, même toi! » La porte faisait face à un couloir vide et sans vie. « Sûrement un courant d’air », se dit Alison, plus pour se convaincre qu’autre chose.
Elle ressentait toute la fureur de Zia qui lui transperçait les poumons, la privant d’air et de vie. Elle pensait que tout se terminerait une fois qu’elle serait enterrée, il fallait croire que non. Elle en avait la chair de poule rien qu’en y pensant, elle n’était qu’un pantin tandis que Zia tirait les ficelles. La nuit fut agitée. Elle se tournait et retournait dans son lit, en repensant à toute sa vie qui avait commencé le jour de leur rencontre.
Dès le lendemain dans les couloirs du lycée, son casier vide, qu’avait tant de fois claqué Zia pour montrer sa colère, ne se fermerait plus jamais de cette manière. Plus jamais elle ne traverserait les couloirs de ce lycée, à ses côtés Zia, qui lui racontait tous les potins du jour sur tout le monde. Alison n’y avait jamais prêté grande attention, mais regrettait. Comment pouvait-elle savoir autant de secrets sur toutes ces personnes. Alison savait très bien ce qu’elle faisait de tous les secrets y compris ceux qu’elle ne lui racontait pas. Elle les gardait dans sa tête pour faire chanter les gens comme bon lui semblait. Même les enseignants étaient sous son emprise, ainsi que ses propres parents. L’enfant naïve qu’était Alison ne s’était jamais doutée de cela jusqu’au jour où elle s’était introduite par effraction dans la salle des maîtres pour accéder aux archives.
C’était un jeudi après les cours, il ne restait que quelques rares passants qui erraient dans les couloirs, quand elles s’étaient lancées dans les ennuis.
- Pourquoi on fait cela, il suffit que tu travailles un minimum et tes notes s’amélioreront.
- Tout le monde n’est pas comme toi, Alison, puis j’ai d’autres choses à faire que de travailler. Surtout que si je veux pouvoir sortir samedi, j’ai intérêt à avoir un bon bulletin.
- Si on se fait prendre, tu auras plus qu’une mauvaise note, crois-moi, et moi de même.
- Je te dis de ne pas t’inquiéter.
A ce moment-là, Alison ne comprenait pas la signification de ses paroles, mais n’eut pas le temps d’y réfléchir, car elles se heurtèrent au proviseur. Alison sentit la panique monter, des lumières rouges commençaient à s’allumer dans sa tête, il fallait qu’elle coure, qu’elle parte, qu’elle s’enfuie. Ses parents allaient la tuer, la punir, elle ne ressortirait plus jamais de chez elle, elle serait bannie de la famille à tout jamais. Elle était tellement occupée à s’imaginer le pire, qu’elle ne comprit pas immédiatement que Zia était en train de retourner la situation à son avantage.
- Je vous conseille de ne rien faire, nous deux savons très bien comment réagirait votre femme si on venait à apprendre la nouvelle, de même que votre carrière qui partirait en fumée, dit Zia d’un ton malicieux.
- Un vous verrez, vous vous ferez prendre à votre propre jeu.
- Peut-être, Monsieur le proviseur, mais pour l’instant vous allez me faire plaisir de mettre un A+ à mon devoir de chimie, dit-elle en claquant la porte avec Alison qui la suivait de près.
Alison fut sortie de ses souvenirs par la sonnerie qui annonçait le début des cours, là où elle n’était pas, ce qui voulait dire heure d’arrêt à la fin de l’école. A la fin de sa journée quelque peu ennuyante, elle se dirigea vers la salle de colle et s’assit à une table tout au fond, loin du superviseur, de peur d’être remarquée. Toute chance de réussite fut ruinée quand la sonnerie de son téléphone vibra. Elle le maudissait à l’intérieur, mais ce sentiment fut vite remplacé par la surprise, puis par la peur. Elle relut le message pour être sûre, mais sans aucun doute possible, il était clairement marqué « On essaie de fuir, tu remets la faute sur moi, mais tu te trouves là où tout a commencé, je ne fais que révéler ce que tu caches. Z. » Son cerveau mit du temps à réagir. Là où tout a commencé… quand un déclic se fit dans sa tête. Elle se trouvait dans la même salle, assise à une table, quand Zia était apparue et avait exigé qu’Alison parte de sa place habituelle. C’est comme ceci que leur histoire avait commencé chez le proviseur, pour des travaux d’intérêt suite à une dispute aux heures d’arrêt. Seule Zia pouvait savoir où elles s’étaient rencontrées. Sa tête commençait à bourdonner. Trop d’informations et de questions venaient en même temps. Qui avait tué Zia? Était-elle vraiment morte? Qui écrivait ces messages en signant Z.?
Trop de questions dans la tête… Elle se dirigea vers sa maison les jambes tremblantes et la gorge nouée, la paranoïa l’emportant sur la peur. Elle s’enferma dans sa chambre pour essayer de bloquer ses pensées plus mystérieuses les unes que les autres. Quand son téléphone recommença à sonner, son cœur s’arrêta et une fraction de seconde elle s’immobilisa. Elle était incapable de communiquer à son corps le moindre mouvement, comme bloquée. Puis une fois reprise en main, elle lut le message. « Tu es seule et sans amie, j’étais tout pour toi, et toi tu m’insultes une fois sous terre. Si tu enterres un secret, il finira par sortir, quoi que tu fasses. Z. » Puis la fenêtre s’ouvrit brusquement, laissant entrer le vent hurlant, annonçant la venue d’une tempête effroyable qui s’approchait à grand pas. Alison allait fermer la fenêtre quand elle vit dans la maison d’en face, dans la chambre de Zia, du feu sortir par la cheminée et les rideaux qui flottaient au vent. Elle aperçut une ombre derrière une fine couche de pluie. Avait-elle rêvé ou halluciné? Le doute la hantait de l’intérieur, il fallait qu’elle vérifie. Elle se précipita sur le perron d’en face qui était abandonné depuis la mort de Zia. Elle poussa la porte et marcha sur le parquet qui grinçait à chaque pas. Tant de choses s’étaient passées dans cette maison. Elles avaient vraiment créé de vrais liens, mais une sonnerie la ramena à la réalité froide et triste. Les messages la hantaient. Celui-là ne laissait aucun doute, quelqu’un l’espionnait. « S’introduire chez les autres c’est mal, et tu le sais très bien. Z. »
Sa vision commençait à devenir floue suite à la panique. Sa gorge sèche l’empêchait de respirer correctement. Quelqu’un surveillait ses moindres faits et gestes. Elle allait partir, quand elle entendit des pas à l’étage. Elle monta les escaliers quatre à quatre, puis courut dans la chambre de son amie morte. Le feu crépitait dans la cheminée mais personne ne se trouvait aux alentours. Elle s’approcha lentement de la cheminée. A chaque pas, elle se sentait observée, le parquet grinçait, elle vérifia chaque recoin de la chambre mais personne ne se trouvait là, il n’y avait aucun signe de vie dans la pièce. Qui avait allumé le feu? Elle préférait partir, et vite, surtout qu’on commençait à entendre l'orage se rapprocher. Elle prit le seau d’eau pour éteindre le feu, mais vit ce qui brûlait: des photos d’elle et Zia. Elles étaient proches et amies, mais leur sourire était faux. Il y avait également un mot, déjà bien noirci par les flammes, qui disait: « Tu veux m’oublier et me faire porter toute la responsabilité, moi j’assume et je te brûle, en enfer ou sur terre. Z. » Alison fit un bon en arrière. Qui était là, qui se cachait sous l’identité de Z.? Elle avait le cœur qui allait exploser, elle sentit ses jambes trembler. Elle n’allait pas tenir longtemps, tout son monde s’écroulait. A l’extérieur, le tonnerre grondait, comme pour manifester sa colère. Sa vue se brouilla, puis soudain plus rien, uniquement un téléphone qui sonnait. D’une main tremblante, elle prit le téléphone et l’approcha de son oreille, puis une voix murmura:
« C’est moi, tu vas payer les conséquences, on sait toutes les deux qui m’a assassinée, sans pitié. Tu vas le regretter, maintenant ou dans le futur, la vérité va éclater sous la torture, tes dettes seront payées. »
Il n’y avait plus de doute possible, mais comment avait-elle pu en arriver là? Tout espoir de vie s’était envolé cette nuit-là, où tout avait dégénéré.
Elle n’alla pas au bout de sa réflexion, car l’éclair frappa la maison hantée par les fantômes du passé. Alison sauta par la fenêtre juste à temps, et la dernière chose qu’elle vit fut Zia dans la chambre lui criant « Tu périras, on se reverra. »
Était-elle folle ou non? Seule Zia le savait, allongée dans sa tombe. De lourds secrets, enterrés avec la mort, périssent, mais ressuscitent si on les rappelle.