An 3042, le 52e samedi brumeux. Enregistrement des déclarations de Monsieur Albin sur les évènements de l’an 3040 et ses actions rebelles actuelles.
« Alors Monsieur Albin, expliquez-moi quand et comment vous avez commencé à avoir des doutes sur l’existence d’autres couleurs. Parlez dans l’enregistreur s’il vous plaît.
- C’était à mon exposition, « Monochrome ».
- Ah oui ! J’en ai beaucoup entendu parler. Félicitations d’ailleurs.
- Merci. Tout a commencé là -bas, quand Monsieur Douglas s’est approché de moi pour me complimenter. »
« C’est encore une magnifique exposition Albin, me félicita-t-il.
- Merci, « Monochrome » est l’une de mes expositions les plus réussies.
- J’ai hâte de voir tes prochains chefs-d’œuvre », me dit-il avant de s’éloigner une coupe de champagne à la main.
Je me retrouvais donc seul, encore une fois. Mon exposition « Monochrome » avait l’air de ravir tout le monde, sauf moi. C’était la première fois que ce que je peignais ne me plaisait pas.
Je peins depuis que je sais tenir un pinceau, ce qui fait pas mal de temps déjà . Je peins de tout, j’aime le cubisme mais je suis spécialiste dans les portraits et les paysages.
Je retournai observer mes toiles dans le but de comprendre ce qui clochait, mais je ne trouvais pas. Mes tableaux représentaient les buildings ternes de Incolorys City, ses habitants austères tous enveloppés dans des manteaux noirs, attendant le bus sous la pluie. Il manquait quelque chose, mais quoi ?
« Ça ne va pas Albin ? me demanda mon meilleur ami Sullivan.
- Il manque quelque chose à mes peintures.
- Mmmh, tu sais je ne suis pas un spécialiste moi, la peinture n’est pas mon domaine mais tout le monde adore, c’est le principal non ? Tout le monde ne parle que de « Monochrome » et ses nuances de gris, de blanc et de noir. »
C’est là que le déclic se produisit :
« Mais oui ! C’est ça le problème ! m’écriai-je. Tout est terne, tous mes tableaux ne sont que d’une seule couleur, le noir, le blanc et le gris ! »
Sullivan me regarda étrangement avant de me dire :
« C’est normal, il n’existe que trois couleurs Albin. On sait ça depuis que nous sommes tout petits ! Qu’est-ce qui t’arrive ? Tu m’as l’air bizarre ce soir…
- Mais non avant il y avait sûrement d’autres couleurs comme le… tu sais le… ou un mélange de… et de… »
Je commençais à m’affoler. Qu’est-ce que je racontais ? Qu’est-ce qui m’arrivait tout à coup ?
« Tu as raison, dis-je à Sullivan en reprenant mes esprits, il n’y a que trois couleurs. Ça doit être la fatigue qui me fait halluciner, je vais rentrer. »
Sullivan hocha la tête et je quittai la salle avant de prendre un taxi pour rentrer chez moi. Le ciel était gris souris comme toujours, pourtant ce jour-là , un doute s’insinua en moi : l’avait-il toujours été ?
« Cela a été votre premier doute Monsieur Albin?
- Oui, et le début de plein d’autres. J’ai commencé à me demander s’il n’y avait pas d’autres couleurs. Et j’en ai parlé à mon père le lendemain. Je suis allé lui rendre visite en fin d’après-midi. »
« Salut papa ! lui dis-je gaiement.
- Hé ! Albin ! Ça me fait plaisir de te voir ! Qu’est-ce que je te sers ? Un café noir ? Un thé blanc, un thé noir ou un Earl Grey? demanda-t-il tout en fouillant dans un placard.
- Tu n’aurais pas quelque chose d’autre ?
- Oui de l’eau noire du robinet.
- Non. Je voudrais une boisson d’une autre couleur que gris, blanc ou noir… »
Mon père arrêta ce qu’il était en train de faire et me demanda :
« Qu’est-ce que tu insinues ?
- Tu ne t’es jamais demandé s’il y avait d’autres couleurs que le gris, le blanc et le noir.
- Non, dit-il froidement.
- Peut-être qu’il y en a d’autres, en dehors d’Incolorys City, tu ne crois pas ? Imagine du…
- Le gouvernement l’aurait dit, Albin, me coupa mon père.
- Et s’il ne nous disait pas tout ?
- Albin… soupira-t-il.
- Peut-être que le gouvernement garde ça pour lui ? Tu m’as toujours dit que tout avait changé après la Grande Rébellion, que le gouvernement préférait nous mettre dans des cases et réduire tous nos choix pour mieux nous diriger.
- Albin arrête ! » cria-t-il.
Mon père n’élevait jamais la voix d’habitude. Il se laissa tomber dans un fauteuil et soupira :
« Il n’y a que le gris, le blanc, et le noir, Albin, rien d’autre… Ne dis jamais qu’il existe peut-être d’autres couleurs. Tu sais ce qu’il arrive à ceux qui contredisent le gouvernement, ou qui se démarquent ?
- Ils sont emmenés par les B. L. A. C. K. (Brigade Légale Anti Changement et Kinésiste) et on ne les revoit jamais… Excuse-moi. »
Un long silence s’installa. Puis mon père m’avoua :
« Ta mère pensait la même chose… »
Je fus surpris, mais j’attendis qu’il poursuive.
« Elle était sûre qu’Incolorys City manipulait ses habitants pour éviter une autre rébellion. Avant de mourir sa grand-mère lui a laissé une grande malle et une lettre disant qu’il y avait quelque chose d’extrêmement précieux dans cette malle.
- Qu’est-ce que c’était ? demandai-je.
- De vieux livres parlant de couleurs qui nous étaient inconnues et de leurs significations ainsi qu’une machine capable de séparer la couleur noire en trois autres appelées « primaires ».
- Mais c’est incroyable ! Pourquoi ne me l’as-tu pas dit avant ?! Où est cette malle ? m’écriai-je.
- Laisse-moi d’abord finir. Ce que je te dis doit rester entre nous. Ta mère s’est rendu compte que l’on obtenait d’autres couleurs en mélangeant certaines entre elles. Elle voulait montrer ça à tout le monde, mais moi j’avais peur de ce que dirait le gouvernement car ces couleurs n’étaient pas comme les autres. Pour finir ta mère a montré tout cela à quelques personnes de confiance. Elles se réunissaient très souvent pour imaginer comment dévoiler ce qu’elles avaient trouvé aux habitants d’Incolorys City.
- Et qu’est-ce qu’ils ont fait ?
- Ils ont peint des toits en plusieurs couleurs différentes. Il y avait du vert je crois, car le vert est l’espérance, et du bleu pour la vérité.
- Comment c’était le bleu et le vert ? »
Mon père sourit en voyant mes yeux s’émerveiller à son récit. J’essayais d’imaginer les toits des quelques maisons d’Incolorys City en vert et bleu parmi tous les toits gris habituels.
« C’était magnifique, poursuivit mon père. Mais les B. L. A. C. K. sont venus les arrêter, le gouvernement a étouffé l’affaire et je n’ai jamais revu ta mère. Tu avais à peine un an à l’époque. »
« Vous vous rendez compte que tout ce que vous a dit votre père ne sont que des foutaises Monsieur Albin ?
- Qu’est-ce qui vous fait dire ça ?
- J’ai fait des recherches et je n’ai rien trouvé sur « l’incident des toits colorés ».
- Le gouvernement a étouffé l’affaire ! Bon sang, ouvrez les yeux ! Tous les toits des maisons sont gris, tous les habitants ont les mêmes vêtements, à vos dix-huit ans on vous envoie une liste de métiers choisis selon vos capacités et vous n’avez pas d’autres choix que de prendre un métier de cette liste ! Tout est géré par le gouvernement et le grand Directeur ! Nous n’avons aucun libre arbitre !
- Le gouvernement fait tout cela pour la sécurité d’Incolorys City. Imaginez qu’un enfant ayant une mauvaise voix décide de devenir chanteur. Ce serait du gâchis.
- Accomplir son rêve serait donc du gâchis pour vous ?
- Non ce n’est pas…
- C’est à cause de mentalités fermées comme la vôtre que nous n’avons maintenant que du gris, du blanc et du noir. Un jour je t’enlève un peu de liberté par-ci et un autre jour un peu par-là ! Même nos noms sont définis pour ne pas sortir du cadre ! Albin veut dire blanc, Sullivan yeux noirs et Douglas eaux noires. Je ne sais pas votre nom mais je parie qu’il veut dire gris, non ?
- …
- (arbore un sourire satisfait).
- Votre père vous a donc montré cette malle ?
- Oui dedans il y avait des pots avec différents échantillons de couleurs. Rien qu’en en voyant certaines je changeais d’émotions. Il y avait le bleu et le vert et du jaune, joie, amitié, connaissance mais aussi tromperie. Du rouge, la passion, le triomphe et la colère. Du violet, méditation et mélancolie. Et encore plein d’autres ainsi que des nuances ! Par exemple il y avait du bleu roi, du cyan, du bleu électrique et j’en passe.
- Vous avez une imagination débordante, Monsieur Albin. Mais que s’est-il passé après la découverte de cette prétendue malle ? Qu’est-ce qui vous a conduit jusqu’ici ?
- Peu de temps après j’ai rencontré un groupe pensant comme moi et j’ai intégré ce groupe…
« Appelle-moi Cérulé, me dit l’un des membres, voici Chani, et Ambre.
- Vous avez tous un nom d’une couleur autre que le gris, le blanc et le noir ! m’étonnai-je.
- Oui, Cérulé est une nuance de bleu, Chani veut dire rouge et l’ambre jaune était un fossile sécrété par les conifères. Ce sont des pseudonymes au cas où l’un de nous se ferait attraper. Nous te présenterons Lilas et Jade plus tard.
- Je vois, mais moi je garderai mon nom si ça ne vous dérange pas.
- Qu’est-ce qu’un peintre comme toi vient faire avec notre groupe ? me demanda Chani à brûle-pourpoint.
- J’ai quelque chose qui devrait vous intéresser et qui pourrait bien changer tout Incolorys City. »
« Je leur ai montré la malle ainsi que les livres et nous avons commencé à mettre au point un plan d’action.
- Pourquoi avoir suivi ces rebelles ? Vous auriez pu continuer tranquillement votre carrière de peintre.
- Non. Comment un peintre aurait-il pu continuer son travail en utilisant seulement trois couleurs alors qu’il en existe presque septante milliards ? Je ne voulais pas finir comme tout le monde. Travailler jusqu’à ma mort et me saouler d’antidépresseurs pour me lever tous les matins sous un ciel gris et terne. J’ai aussi rencontré Chani, nous attendons un enfant elle et moi. On pense l’appeler Rose. Le rose est créé à partir du blanc et du rouge, c’est aussi la couleur du bonheur et de la tendresse, ça lui ira bien.
- Si vous ne nous dites pas ce que vous avez prévu de faire avec votre groupe et où se trouve cette prétendue malle, vous ne risquez pas de revoir votre Chani et votre Rose.
- Je ne vous dirai rien d’autre et je ne m’inquiète pas. Ils viendront me chercher.
- Vous risquez de finir votre vie ici après le coup que vous avez fait. Vous avez apparemment fait une nouvelle exposition nommée« Polychrome », mais certains tableaux laissent sous-entendre que vous êtes contre le gouvernement et le grand Directeur. Ces tableaux devraient d’ailleurs être saisis puis détruits dans les prochains jours. Les acheteurs seront bien évidemment remboursés. Quel gâchis Monsieur Albin…
- Cela risque de vous prendre du temps, presque toute la ville possède mes œuvres.
- Voulez-vous nous avouer quelque chose avant de retourner en cellule ? Cela pourrait peut-être arranger votre cas, vous seriez innocenté.
- Albin veut dire blanc, le blanc est l’innocence, donc vous n’avez pas besoin de m’innocenter. Que vous le vouliez ou non, un nouveau mouvement est en marche. Il dira la vérité, apportera la joie et triomphera. C’est tout ce que j’ai à dire.
- Enregistrement terminé. B. L. A. C. K. remettez-le dans sa cellule. »
Je regarde Monsieur Albin quitter la pièce avec deux agents du B. L. A. C. K. Il avait l’air tellement convaincu de ses paroles. Je ne peux m’empêcher de me demander ce qu’il a voulu dire avant de partir. Je sens qu’il y a un message caché derrière cette sa dernière phrase…
« Monsieur Dimgrey ? Tout va bien ? me demande un agent du B. L. A. C. K.
- Oui, je vais rentrer. »
En arrivant chez moi, je me pose dans le canapé et regarde l’un des tableaux de la nouvelle exposition de Monsieur Albin, « Polychrome ». Il faudra bientôt que je le donne aux autorités pour qu’il soit détruit, comme tous les autres. Quel gâchis…
Avant de devoir le donner je décide de nettoyer le cadre, il est très lourd et épais. Je commence à enlever la poussière grise qui s’est installée dessus lorsque j’entends un « click » étrange. Tout à coup, trois filets de couleurs inconnues coulent du cadre et viennent tacher la toile. Je tente de les arrêter mais je les étale encore plus, créant d’autres couleurs involontairement. C’est là que je comprends tout, pourquoi Monsieur Albin était si serein au moment de l’interrogatoire et la dernière phrase qu’il m’a dite avant de partir.
Combien d’habitants ont découvert cela ? Ce qu’il m’a dit était-il donc vrai ? Sur la toile trois couleurs ressortent. Je devine leur nom, grâce aux paroles de Monsieur Albin. Le bleu, la vérité, le jaune, la joie, et le rouge, le triomphe.
Je sors rapidement de chez moi. Dehors une foule s’est rassemblée. Ils vont vers le plus grand building d’Incolorys City, celui où le gouvernement et le grand Directeur se réunissent. Les B. L. A. C. K tentent de les arrêter, en vain. Jamais autant de monde ne s’est rassemblé.
Mon téléphone sonne :
« Allô ?
- Monsieur DimGrey ?
- Oui ? Que se passe-t-il ?
- Monsieur Albin s’est échappé. Les B. L. A. C. K. le recherchent mais avec cet attroupement c’est difficile… »
Je n’entends pas la suite à cause de la foule. Je me fais bousculer et remarque que beaucoup de personnes ont les mains rouge, bleu et jaune. Tous crient : « Vérité ! Joie ! Triomphe ! Bleu, jaune, rouge !
Albin avait raison, un nouveau mouvement se lève. Je ne sais pas si ce nouveau mouvement dira la vérité ou apportera la joie et encore moins s’il triomphera, mais je suis sûr qu’il changera à tout jamais les couleurs d’Incolorys City, notre ville autrefois monochrome.
Un sourire illumina son si joli visage lorsque ses souliers usés par les heures intensives d’entrainement foulèrent le parquet vernis de la salle de danse où elle avait passé le plus clair de son temps depuis maintenant treize ans. La danse était pour elle son seul moyen d’échapper à la dure réalité et ce jour-ci elle passait une audition pour rentrer dans une prestigieuse école de danse. Elle avait attendu ce moment depuis tellement longtemps. Le jour où enfin elle pourrait se délivrer des chaînes qui la rendaient prisonnière et où enfin ces couleurs qui ornaient son corps pourraient disparaître.
Une fois son enchaînement terminé, elle fit une révérence et partit dans le vestiaire. Quand elle eut fini de se changer, elle dévala les escaliers qui menaient à la sortie et rentra chez elle. Lorsqu’elle arriva à son domicile, ses parents l’attendaient pour savoir comment s’était passé l’audition pour laquelle elle s’était tellement entraînée, mais Amelia passa devant eux sans leur adresser un seul regard et s’enferma à double tours dans sa chambre. Cela faisait huit mois qu’Amelia s’était renfermée sur elle-même, qu’elle ne parlait plus, qu’elle ne mangeait presque plus non plus. Elle avait perdu beaucoup de poids. Ses parents s’inquiétaient. Ils l’avaient forcée à voir plusieurs psychologues mais ça avait été sans succès. A l’heure du souper, ses parents essayèrent de la faire sortir de sa chambre mais elle refusa prétextant être fatiguée par la journée qui venait de s’écouler. Ses parents abandonnèrent et redescendirent à contre coeur. De l’autre côté de la porte, des larmes coulaient sur les joues d’Amelia en imaginant la journée qui allait se dérouler le lendemain. Lundi et tous les autres jours de semaine étaient le pire des enfers pour elle depuis sa rentrée en dernière année. A cette pensée, des nouvelles larmes dévalèrent ses joues, elles ne s’arrêtaient plus. Alors, pour penser à autre chose Amelia prit un livre, s’allongea sur le lit et à peine après avoir lu les premières pages elle ferma les yeux et tomba dans les bras de Morphée.
Le son strident des son réveil sortit Amelia de son sommeil. Elle regarda le cadrant et pressa le bouton pour arrêter cet horrible bruit qui lui perçait les tympans. Elle se posta devant son miroir et enleva son pyjama. Elle contempla son corps et une larme s’échappa de ses yeux. Un énorme bleu ornait son ventre et ses bras en étaient couverts. Seul son si beau visage avait été épargné. La voix de sa mère qui la conviait au petit déjeuner, la sortit de sa contemplation. Elle s’habilla d’un jeans noir et d’un long pull de la même couleur puis descendit. Lorsque elle eut fini d’ingurgiter le peu de nourriture qu’elle avait décidé de manger pour faire plaisir à ses parents, elle ouvrit la porte et partit en direction de l’école.
Quand elle passa le portail de son collège, elle sentit des dizaines de paires d’yeux sur elle. Comme si elle était le personnage principale d’une pièce de théâtre, comme si elle était une bête de foire, comme un animal au zoo. Elle baissa la tête et accéléra le pas pour rentrer dans sa classe mais, en passant devant les toilettes des filles, une main l’attira à l’intérieur. Et quand elle voulut sortir, elle se rendit compte que la porte était verrouillée. Elle se retourna alors pour voir qui l’avait enfermée et quand elle vit la bande d’adolescents qui la persécutait depuis maintenant huit mois elle paniqua et essaya d’enfoncer la porte mais sans succès. Soudain, une main la plaqua contre le mur par le cou pendant qu’une autre la martelait de coups dans le ventre. Elle pleurait, criait, hurlait mais elle savait que personne ne viendrait à son secours. Elle allait encore avoir de nouvelles couleurs sur son corps qui partiraient dans un moment pour laisser la place à des nouvelles et ainsi de suite jusqu'à la fin de sa scolarité. La main qui la maintenait debout la lâcha et elle tomba à terre. Ils continuèrent à la frapper avec leurs pieds cette fois et lorsque la sonnerie retentit ils la laissèrent tranquille et s’en allèrent à leurs cours respectifs.
Amelia resta allongée sur le carrelage froid pendant longtemps si bien qu’elle rata sa première heure d’école. Lorsque elle décida enfin de se lever elle se regarda dans la glace et constata qu’ils avaient encore épargné son visage. Sûrement par peur que quelqu'un découvre ce qu'ils lui faisaient subir car ils savaient qu’elle ne dirait rien, ils l’avaient menacée pour en être sûr et detoute façon ses longs pulls cachaient toutes ses blessures. Elle reprit son sac qui était tombé pendant l’altercation et décida de retourner chez elle. Une fois rentrée, sa mère, qui avait reçu un appel de l’école l’informant de l’absence de sa fille en première période l’interrogea, mais sans succès. Amelia ne décocha pas un mot. Alors sa mère haussa le ton mais encore une fois en vain. Amelia était dans un autre monde. Elle n’écoutait même plus sa propre mère et quand celle-ci lui intima d’aller dans sa chambre elle ne se fit pas prier et monta avec difficulté les marches. Une fois dans la seule pièce de la maison où elle pouvait arrêter de se cacher, elle retira ses habits pour constater l’ampleur des dégâts. Cette fois l’intégralité de son corps était meurtri. Elle appliqua de la crème sur ses bleus et partit se coucher.Elle se réveilla à l’heure du souper. Elle descendit, mangea le minimum, et repartit dormir sans un mot.
Le lendemain, elle se leva difficilement comme chaque jour mais ce jour-là elle était encore plus stressée qu’habituellement. En effet, c’était dans la journée qu’elle devait recevoir le résultat de son audition. Elle se prépara et partit en cours. Comme chaque jour elle subit les regards insistants de la majorité des élèves mais, pour une fois elle n’aperçut pas ses persécuteurs. La journée se passa particulièrement bien et une fois l’école terminée elle resta faire ses devoirs à la bibliothèque.
Quand elle eut fini, elle se prépara pour rentrer chez elle voir si la fameuse lettre qu’elle attendait tellement était arrivée. Elle devait avoir appelé sa mère vingt fois pour savoir si elle l’avait reçue mais à chaque fois sa mère lui répondit négativement. Lorsqu’elle passa devant les vestiaires où elle devait passer pour sortir du collège, une lumière l’intrigua. En effet, à cette heure-ci tout le monde devait déjà être parti, et même si ce n’était pas le cas, en aucun cas les élèves avaient le droit de rester dans les vestiaires. Elle ouvrit alors la porte et le regretta aussitôt. Devant elle se tenait un groupe d’élèves qu’elle connaissait plus que bien. Elle claqua la porte et courut le plus vite qu’elle put, mais c’était peine perdue. Un des adolescents la rattrapa et la ramena de force dans le vestiaire. Elle criait, se débattait mais, son manque de force dû à son manque d’alimentation et à toutes ses blessures lui fit perdre espoir. Une fois dans les vestiaires, le jeune homme la jeta à terre et tous se mirent à la ruer de coups. Peu à peu elle perdait le brin de force qui lui restait. Elle se sentait partir et les pieds et les poings qui heurtaient son corps déjà meurtri ne faiblissaient pas. Elle sentait la fin arriver. Alors elle pensa à ses parents, au fait qu’elle n’avait pas suffisamment profité d’eux, elle pensa aussi à cette école où elle n’irait jamais. Elle voyait tous ses rêves partir en fumée en même temps que son âme quittait son corps. Elle avait plusieurs fois imaginé sa mort mais jamais elle n’aurait pensé que ce serait sous les coups de ses camarades de classe. Puis vint le coup fatal, le coup de trop, celui qui fit arrêter son coeur à tout jamais. Toute trace de vie avait quitté son corps. Ses yeux s’étaient fermés pour ne plus jamais se rouvrir. Elle était morte avec ces maudites couleurs sur son corps et quelque part dans cette petite ville des parents attendaient leur fille avec dans la main une lettre qui l’acceptait dans une prestigieuse école de danse.